© Alexandre Lescure 2012 / Musée Curie

Instrument pour l'étude électrochimique des radioéléments


L’un des premiers travaux de Frédéric Joliot au laboratoire Curie porte sur l’étude des propriétés électrochimiques du polonium. Pour effectuer ce travail de thèse, il a imaginé et fait fabriquer un instrument nommé « cellule électrochimique pour l’étude des radioéléments ». Ce type d’instrument est, par la suite, utilisé au sein de nombreux laboratoires, dont le laboratoire Curie.

« Son habileté expérimentale est remarquable. »

Extrait du livre de Pierre Radvanyi, Les Curie : Les pionniers de l’Atome, publié en 2005



Frédéric Joliot et la  radiochimie ...


La chimie des substances radioactives, ou radiochimie, occupe une place très importante dans l’activité du laboratoire Curie dès sa création. Un problème important lié aux substances radioactives comme le radium, est qu’elles sont très rares, on n’en trouve que des traces en nature, et il est donc extrêmement coûteux et difficile d’en amasser des quantités suffisantes pour pouvoir les peser et les étudier du point de vue chimique. L’émission radioactive de ces substances est, en revanche, très importante, et peut donc être utilisée pour les identifier et les étudier. Marie Curie écrit, dans son œuvre Pierre Curie, que la radiochimie « est une nouvelle méthode de recherche chimique basée sur la radioactivité. Elle consiste à effectuer des séparations par des moyens ordinaires de l’analyse chimique, et à mesurer, dans des conditions convenables, la radioactivité de tous les produits séparés. (…) on peut [ainsi] se rendre compte du caractère chimique de l’élément radioactif cherché (…) ». En se laissant guider par leur émission radioactive, la radiochimie permet donc d’obtenir les caractéristiques chimiques d’éléments radioactifs très rares.

En 1923, Frédéric Joliot sort major de sa promotion comme ingénieur-physicien de l’Ecole municipale de Physique et de Chimie industrielles de Paris (EPCI). Un an plus tard, il apprend par Paul Langevin, son mentor à l’EPCI, que Marie Curie accepte de le prendre en tant que préparateur particulier. Au sein de ce laboratoire, le physicien se familiarise avec la radioactivité et s’initie à la radiochimie. À cette époque, son habileté expérimentale est déjà très appréciée au sein du laboratoire Curie. A partir de 1927, Frédéric Joliot contribue aux activités de recherche en radiochimie du laboratoire Curie, en s'intéressant plus particulièrement à l’étude de certaines propriétés du polonium. Ses travaux le conduisent à améliorer les techniques utilisées en inventant un dispositif tout à fait astucieux.

© Musée Curie (coll. ACJC)
© Musée Curie (AIR_LC_MC_018_02)

La thèse de Frédéric Joliot


Dans sa thèse, obtenue en 1930, Frédéric Joliot cherche à observer différents phénomènes physico-chimiques. Il utilise la méthode classique de l'électrolyse : lorsque l’on introduit deux lames de métal (électrodes) dans une solution de polonium et que l’on fait passer un courant électrique entre ces deux électrodes, ceci entraine alors la formation d’un dépôt de polonium sur une des deux lames. Mesurer la vitesse à laquelle le dépôt se crée permet l’étude des caractéristiques physico-chimiques de cet élément.

Pour mener à bien ses recherches, Frédéric Joliot met au point un nouvel appareil d’électrolyse, incluant des chambres d’ionisation qui permettent de mesurer au cours du temps, la charge électrique produite par les rayons α émis par le polonium.

À l’intérieur de l’appareil se crée un courant entre les deux électrodes (A : électrode + (anode) ; C : électrode – (cathode)). Ce courant permet la fixation d’un dépôt radioactif de polonium sur l’électrode (A ou C) en fonction de sa formule chimique en solution. Le rayonnement émis par le dépôt traverse l’électrode jusqu’à la chambre d’ionisation qui, associée à un électromètre, permet de mesurer le courant généré.

© Musée Curie
© Musée Curie

L’amélioration de ce dispositif réside dans la mise en place de deux électrodes suffisamment minces pour laisser passer les rayons α du polonium jusqu’aux chambres d’ionisation qui sont associées à un électromètre à quadrant et à un quartz piézoélectrique, un système de mesure de la radioactivité caractéristique du laboratoire Curie. L’ajout de Frédéric Joliot permet d’effectuer une observation en continu de la vitesse de dépôt. Irène Curie écrit dans son livre ‘Les radioéléments naturels’ (1946) que : « Ce dispositif permet de mesurer la vitesse de dépôt sans retirer les électrodes, ce qui a de très grands avantages » ! Le perfectionnement apporté par Frédéric Joliot à l’instrument est largement utilisé au laboratoire Curie, mais aussi dans d’autres centres de recherche pour l’étude chimique de différents processus.

Du laboratoire au musée...


Le prototype de Frédéric Joliot, comme beaucoup d’objets conservés au Musée Curie, a été d’abord outil de recherche, pour devenir ensuite objet patrimonial. Son histoire est étroitement liée à celle du laboratoire : après avoir été conçu par Frédéric Joliot, l’instrument est fabriqué au sein même de l’atelier mécanique du laboratoire Curie, par Lucien Desgranges.

Celui-ci était alors chef de l’atelier, où il a commencé sa carrière en tant qu’apprenti neuf ans plus tôt, à l’âge de 13 ans ! Lucien Desgranges, en tant que chef de l’atelier mécanique du laboratoire, a l’habitude de répondre à toutes sortes de demandes des scientifiques du laboratoire. Celui des mécaniciens du laboratoire est un véritable travail de co-création avec les scientifiques :

« Très souvent, Madame Curie nous disait ce qu’elle voulait faire et c’était au mécanicien de faire ce qu’il fallait pour rendre l’expérience commode et valable. » (Interview de Lucien Desgranges par Paul Bordry, à l’occasion des 100 ans de la naissance de Marie Curie, 1967)

Aujourd’hui l’appareil de thèse de Frédéric Joliot s’inscrit au sein du parcours permanent du Musée Curie. Il est le témoin des recherches effectuées au laboratoire Curie, et nous rappelle encore aujourd’hui l’importance primordiale de la collaboration entre le personnel scientifique et le personnel technique dans les sciences expérimentales.


© Musée Curie (coll. ACJC)
© Sacha Lenormand 2013 / Musée Curie

pour aller plus loin


Joliot-Curie, Irène et Frédéric, “Etude électrochimique des radioéléments applications diverses”, In Oeuvres scientifique complète, Paris, 1961, p. 163-205 (Thèse)

Joliot-Curie Irène, “Chapitre XIV. Les méthodes de la Radiochimie. Electrochimie des radioéléments”, In Les radioéléments naturels. Propriétés chimiques, préparation - dosage, 1946, p. 102-104

Massiot, A., Pigeard-Micault, N., « Les coulisses des laboratoires d’autrefois. Vies et métiers à l’Institut du radium et à la Fondation Curie », ed. Glyphe, 2017, 97 p.

Radvanyi Pierre, “Deux jeunes gens complémentaires”, In Les Curie. Pionniers de l’atome, Belin 2005, p. 79 - 88.