Les instruments de la découverte de la radioactivité artificielle
La découverte de la radioactivité artificielle, et l'identification de nouveaux radioéléments produits en laboratoire, effectuées en 1934 par Frédéric et Irène Joliot-Curie au laboratoire Curie, sont aujourd'hui célebrées dans une des vitrines du Musée Curie.
La découverte de la radioactivité artificielle, et l'identification de nouveaux radioéléments produits en laboratoire, effectuées en 1934 par Frédéric et Irène Joliot-Curie au laboratoire Curie, sont aujourd'hui célebrées dans une des vitrines du Musée Curie.
Le Musée Curie possède dans ses collections les reconstitutions du matériel utilisé par le couple de scientifiques lors de leurs recherches sur la séparation chimique des premiers radioéléménets artificiels : un compteur Geiger-Müller ainsi que la verrerie utilisée pour identifier les nouveaux radioéléments. Voici quelques informations sur le fonctionnement et le rôle joué par ces instruments.
Le compteur Geiger-Müller
Encore utilisé aujourd'hui, le compteur Geiger-Müller est un appareillage de mesure permettant de détecter les rayons alpha, béta, gamma et X. Une première version de cet appareil est inventée dès 1908 par E. Rutherford et H. Geiger, pour la détection des rayons alpha. Il faudra attendre 1928 pour que Geiger lui-même, et Walther Müller améliorent ultérieurement l'instrument, et le rendent sensible aussi aux autres types de rayonnement. Il s’agit donc d’un instrument relativement récent quand les Joliot commencent à l’utiliser en 1932-1933.
L'instrument est constitué d'un tube cylindrique en métal, rempli de gaz sous faible pression. Dans ce tube, appelé aussi plus généralement "chambre", est tendu un fil métallique. Une tension d’environ 1000 Volts est établie entre le fil et la paroi du tube, avec le fil chargé positivement par rapport à la paroi. Quand un rayonnement pénètre dans la chambre, il ionise les atomes composant le gaz en leur arrachant des électrons. Ceux-ci, chargés négativement, sont attirés par le fil métallique qui est chargé positivement. Lorsqu'ils sont absorbés par le fil, cela produit des petites décharges électriques qui sont récupérées, amplifiées, puis transformés soit en un signal visuel (un chiffre ou une aiguille) soit en un signal sonore, soit les deux (dans les compteurs les plus modernes), qui permettent à l'expérimentateur de lire la mesure.
Extrêmement sensible, ce genre d'appareil est capable d'enregistrer le passage d'une seule particule ionisante ! Par contre, il ne peut pas distinguer les différents types de rayonnements ionisants.
L’exemplaire du musée est constitué d’un amplificateur à transistor, d’un tube Geiger-Müller en laiton ainsi que d’un numérateur mécanique qui affiche le nombre de « tops » reçus par le tube Geiger. Il s’agit ici d’une reconstitution qui n’est pas identique à l’original, Frédéric Joliot ayant fait don du leur au Science Museum de Londres. Les matériaux, les composants et les dimensions ne sont pas tout à fait les mêmes dans la reconstitution et dans l'original. Il s’agit en fait d’un objet créé en 1964 par Pierre Savel pour célébrer les 30 ans de la découverte de la radioactivité artificielle, permettant de refaire la manipulation en présence de public.
La séparation chimique des premiers radioéléments artificiels
Bien que principalement physiciens de formation, le couple de savants a dû rapidement imaginer des méthodes chimiques afin de prouver l’existence d’éléments radioactifs artificiels, c'est à dire crées en laboratoire. En particulier, deux parmi ces éléments vont retenir leur attention : le radiophosphore et le radioazote. Les deux instruments en verre présentés dans la vitrine dédiée du Musée Curie sont des répliques de ceux que les Joliot-Curie ont utilisés en janvier et février 1934. La première verrerie leur a permis de montrer que du radiophosphore se formait lorsqu’on bombardait une feuille d’aluminium avec des rayons α.
Effectivement, un morceau d’aluminium, préalablement irradié par les rayons α d’une source de polonium, est placé dans le tube où il est attaqué et dissout par une solution d’acide chlorhydrique HCl. L’hydrogène, produit lors de la réaction, transforme le phosphore radioactif formé en un élément volatile de formule PH3. Le gaz actif est recueilli au-dessus d’une cuve à eau dans un tube à paroi mince. En approchant ce tube du compteur Geiger, il est possible de détecter l’émission de rayonnements β+, preuve de la présence d’un phosphore radioactif qui n’existait pas à l’origine. Cela permet aux Joliot-Curie d'établir aussi que la demi-vie de cet élément radioactif artificiel est de 3 minutes et 15 secondes.
L’autre verrerie visible en vitrine a été utilisée pour détecter le radioazote. Un échantillon de nitrure de bore irradié par les rayons α du polonium est placé dans le tube de gauche contenant un peu de soude, puis chauffé. L’azote se dégage et est collecté dans le tube de droite, placé dans un vase Dewar. Le compteur Geiger sert encore une fois à montrer l’existence d’atomes d'azote radioactif nouvellement créés. La demi-vie du radioazote est estimée à 14 minutes.
Ces moyens chimiques développés par les Joliot-Curie ont permis d’apporter la preuve irréfutable à la fois de l’existence de la transmutation naturelle telle que découverte par Ernest Rutherford en 1919, mais aussi celle de la radioactivité dite artificielle. La principale difficulté à contourner concernait la faible "durée de vie" de ces éléments : la méthode chimique pour isoler le radioazote ne prend ainsi pas plus de 6 minutes ; pour le radiophosphore, moins de 3 ! C’est ce travail en particulier qui leur vaudra le prix Nobel de Chimie en 1935.