Frédéric Joliot et l'Appel de Stockholm
Frédéric Joliot vient au monde le 19 mars 1900. Cinquante ans après jour pour jour, il est le premier signataire de l’Appel de Stockholm pour l’interdiction de l’arme atomique, lancé lors du Congrès des Partisans de la Paix. Cet appel marque un moment fort de l’engagement de Frédéric Joliot pour la paix, débuté dès les années 1930 avec d’autres intellectuels et universitaires contre le fascisme.
Avant la bombe atomique : engagements contre le fascisme et l’Occupation
Le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA), est créé en 1934 dans le contexte de la montée des fascismes en Europe. Ce Comité, présidé entre autres par Paul Langevin et dont Frédéric et Irène Joliot-Curie font partie dès sa fondation, réunit les intellectuels adhérents ou compagnons de route d’un des trois principaux partis politiques de gauche : Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO, ancêtre du Parti Socialiste), radical socialiste et communiste. Leur objectif est de créer en France et en Europe un front contre la montée du fascisme. L’adhésion de Joliot au Comité signe le début d’un engagement important dans les questions politiques, qui se poursuit pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
En effet, pendant la guerre, Frédéric Joliot-Curie, alors professeur au Collège de France, entre en résistance. Il devient par la suite le président du Front National des Universitaires et du Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France, organisation de résistance fondée par le Parti Communiste Français (PCF) et membre du Conseil National de la Résistance (CNR).
Après l’utilisation de la bombe atomique par les Etats-Unis sur Hiroshima le 8 août 1945 puis sur Nagasaki le 9 août 1945, Frédéric Joliot milite pour l’engagement des scientifiques dans les décisions politiques liées à leurs découvertes.
En août 1948, devant le durcissement de la guerre froide et la crainte d’une nouvelle utilisation de l’arme atomique, Irène Joliot participe au premier Congrès mondial des Intellectuels pour la Paix en Pologne à Wrocław. Ce premier Congrès débouchera un an après à la constitution du Conseil mondial de la Paix réunissant plusieurs organisations du Mouvement de la Paix.
La présidence du Conseil mondial de la Paix
Début 1949, Frédéric Joliot est chargé de la présidence du comité d’organisation du Congrès des Partisans de la Paix devant se tenir à Paris en mars 1949. Joliot est alors, en plus de ses fonctions de scientifique et de professeur, haut-commissaire du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).
Lors de l’ouverture du Congrès des Partisans de la Paix à Paris en 1949, il déclare :
Nous ne nous réunissons pas ici pour demander, mais pour imposer la paix aux partisans de la guerre. […]
Les scientifiques, placés en face de leurs responsabilités, ne peuvent rester passifs. Ils pensent avec raison que les détournements de la science peuvent être évités et beaucoup agissent dans ce sens. […] Les savants ne peuvent pas se constituer en une petite élite détachée des contingences pratiques […].
19 mars 1950 : l’Appel de Stockholm
Suite à l’annonce des recherches sur la bombe thermonucléaire par le président des Etats-Unis Harry S. Truman en janvier 1950, l’Appel de Stockholm est lancé le 19 mars 1950, lors du Comité du Congrès Mondial des Partisans de la Paix. Cet appel vise à l’interdiction absolue de l’arme nucléaire. Frédéric Joliot en est le premier signataire.
APPEL
Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations.
Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction.
Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.
Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel.
Stockholm, 19 mars 1950
Bien que le nombre de signataires ne puisse pas être connu de manière certaine, la campagne se propage à travers le monde et plusieurs millions de personnes signent l’Appel.
L’Appel de Stockholm ne sera pas sans conséquences sur la carrière et les engagements de Frédéric Joliot-Curie. Sa position publique contre l’arme atomique ainsi que son appartenance au PCF le placent en porte à faux avec la politique gouvernementale qui souhaite que la France, via le CEA, se lance également dans la course à l’arme nucléaire. Frédéric Joliot-Curie est révoqué de ses fonctions de haut-commissaire du CEA un mois après l’Appel, le 29 avril 1950.
pour aller plus loin :
Archives
> Cinq années de lutte pour la paix. Articles, discours et documents (1949-1954) de Frédéric Joliot, 1954 ;
> Meeting à Buffalo, 1949
Articles et livres
> Résistance et dissuasion: Des origines du programme nucléaire français à nos jours, de Céline Jurgensen et Dominique Mongin, Odile Jacob, 2018 ;
> "La colombe et les mouches. Frédéric Joliot-Curie et le pacifisme des savants", de Frédérique Matonti, dans Politix, 2002, no 58, p. 109-140 ;
> "Genèse de l'armement nucléaire français" de Dominique Mongin, dans Revue historique des armées, 2011, no 262, p. 9-19 ;
> "Aux origines du programme atomique militaire français" de Dominique Mongin, dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1993, no 31, p. 13-21 ;
> Frédéric Joliot-Curie, de Michel Pinault, Odile Jacob, 2000.