Frédéric Joliot-Curie et l'Appel de Stockholm

Histoire(s)

Publié le 19/03/2022
Modifié le 12/04/2023
par Anne-Morgane Devriendt
Temps de lecture: 5mn
Le 19 mars 1950, Frédéric Joliot-Curie est le premier signataire de l’Appel de Stockholm pour l’interdiction de l’arme atomique. Cet appel marque un moment fort de l’engagement du scientifique pour la paix.

Avant la bombe atomique : engagements contre le fascisme et l’Occupation

Ce comité, qui a été présidé entre autres par le physicien Paul Langevin (1872-1946), et dont Frédéric et Irène Joliot-Curie font partie dès sa création, réunit les intellectuels adhérents ou sympathisants d’un des trois principaux partis politiques de gauche de l’époque : la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO, ancêtre du Parti Socialiste), le parti radical socialiste, et le parti communiste. L’objectif est de créer en France et en Europe un front contre la montée du fascisme. L’adhésion de Frédéric Joliot-Curie au comité signe le début d’un engagement important dans les questions politiques, qui se poursuivra pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

Pendant la guerre, Frédéric Joliot-Curie, alors professeur au Collège de France, entre dans la résistance. Il devient par la suite le président du Front National des Universitaires et du Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France, organisation de résistance fondée par le Parti Communiste Français (PCF) et membre du Conseil National de la Résistance (CNR).

La présidence du Conseil mondial de la Paix

Après l’utilisation de la bombe atomique par les Etats-Unis sur la ville japonaise d’Hiroshima, le 8 août 1945, puis sur celle de Nagasaki le 9 août 1945, Frédéric Joliot milite pour l’engagement des scientifiques dans les décisions politiques liées à leurs découvertes.

En août 1948, devant le durcissement de la Guerre Froide, et la crainte d’une nouvelle utilisation de l’arme atomique, Irène Joliot-Curie participe au premier Congrès mondial des Intellectuels pour la Paix en Pologne, à Wrocław. Ce premier Congrès débouchera un an après à la constitution du Conseil mondial de la Paix, réunissant plusieurs organisations du Mouvement de la Paix.

Carte du Premier Congrès Mondial des Partisans de la Paix, avec la lithographie de la colombe dessinée par Pablo Picasso, 1949 - Dessin Pablo Picasso. © Musée Curie (coll. ACJC)

Début 1949, Frédéric Joliot-Curie est chargé de la présidence du comité d’organisation du Congrès des Partisans de la Paix, devant se tenir à Paris en mars 1949. Joliot est alors, en plus de ses fonctions de scientifique et de professeur, haut-commissaire du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).

Lors de l’ouverture du Congrès des Partisans de la Paix à Paris en 1949, il déclare :

Nous ne nous réunissons pas ici pour demander, mais pour imposer la paix aux partisans de la guerre.

Les scientifiques, placés en face de leurs responsabilités, ne peuvent rester passifs. Ils pensent avec raison que les détournements de la science peuvent être évités et beaucoup agissent dans ce sens. Les savants ne peuvent pas se constituer en une petite élite détachée des contingences pratiques .

Carte postale éditée à l’occasion de 50ème anniversaire de Frédéric Joliot. avec un extrait de la déclaration faite au Congrès Mondial des Partisans de la Paix à propos de la bombe atomique et sa signature, 1950. © Musée Curie (coll. ACJC)

19 mars 1950 : l’Appel de Stockholm

Suite à l’annonce des recherches sur la bombe thermonucléaire par le président des Etats-Unis Harry S. Truman en janvier 1950, l’Appel de Stockholm est lancé le 19 mars 1950, lors du Comité du Congrès Mondial des Partisans de la Paix. Cet appel vise à l’interdiction absolue de l’arme nucléaire. Frédéric Joliot en est le premier signataire.

Appel de Stockholm contre l’utilisation des armes nucléaires, lancé par le Comité du Congrès Mondial des Partisans de la Paix, 19 mars 1950. © Musée Curie (coll. ACJC)

APPEL

Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations.

Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction.

Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.

Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel.

Stockholm, 19 mars 1950

Assemblée du Mouvement de la Paix au stade Buffalo à Montrouge, 1950. © Musée Curie (coll. ACJC)

Bien que le nombre exact de signataires ne soit pas connu, plusieurs millions de personnes signent l’Appel dans le monde entier.

L’Appel de Stockholm ne sera pas sans conséquences sur la carrière et les engagements de Frédéric Joliot-Curie. Sa prise de position publique contre l’arme atomique, ainsi que son appartenance au PCF, le placent en porte-à-faux avec le gouvernement, qui souhaite que la France, via le CEA, se lance dans la course à l’arme nucléaire. Frédéric Joliot-Curie est de fait révoqué de ses fonctions de haut-commissaire du CEA un mois après l’Appel, le 29 avril 1950.

Manifestation en mai 1950, pour la réintégration de Frédéric Joliot au Commissariat à l’Énergie Atomique. © Musée Curie (coll. ACJC)

Pour aller plus loin

> Cinq années de lutte pour la paix. Articles, discours et documents (1949-1954) de Frédéric Joliot, 1954;
> Meeting à Buffalo, 1949;
> Résistance et dissuasion: Des origines du programme nucléaire français à nos jours, de Céline Jurgensen et Dominique Mongin, Odile Jacob, 2018;
> "La colombe et les mouches. Frédéric Joliot-Curie et le pacifisme des savants", de Frédérique Matonti, dans Politix, 2002, no 58, p. 109-140;
> "Genèse de l'armement nucléaire français" de Dominique Mongin, dans Revue historique des armées, 2011, no 262, p. 9-19;
> "Aux origines du programme atomique militaire français" de Dominique Mongin, dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1993, no 31, p. 13-21;
> Frédéric Joliot-Curie, de Michel Pinault, Odile Jacob, 2000.

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