Entre vision satirique et fantasme populaire : le regard caricatural de l'hebdomadaire anglais Vanity Fair sur la découverte de Marie et Pierre Curie


Le 22 décembre 1904, l’hebdomadaire britannique Vanity Fair diffuse une caricature caustique de
Pierre et Marie Curie. Ce journal satirique qui s’était donné pour ambition de dépeindre la foire aux vanités victoriennes donne à voir, au-delà d’un portrait à charge, le fantasme populaire que suscite l’étrange découverte.

Suite aux travaux d’Henri Becquerel sur les rayonnements émis par l'uranium, Marie et Pierre Curie parviennent à découvrir deux nouveaux éléments chimiques : le polonium et le radium. En 1903, les deux chercheurs se voient attribuer la moitié du prix Nobel de physique pour leurs travaux sur la radioactivité, l'autre moitié étant attribué à Henri Becquerel. Après l’attribution de ce prix, la découverte est massivement relayée par les médias parmi lesquels Le Figaro ou encore l’Illustration. L’hebdomadaire britannique Vanity Fair sous-titré « Un spectacle hebdomadaire de scènes politiques, sociales et littéraires » diffuse également cette découverte. Célèbre pour son caractère acerbe et satirique, ce journal avait pour ambition de dépeindre la foire aux vanités victorienne. Chaque numéro contenait une page lithographiée en couleur caricaturant une personnalité politique, scientifique ou religieuse. Le 22 décembre 1904, paraît une caricature de Marie et Pierre Curie tenant l’étrange produit de leur découverte scientifique.

Le caricaturiste dissocie la découverte de tout contexte narratif. Reléguée à l’extrême gauche de la lithographie et en partie hors champ, une paillasse recouverte de divers objets laisse tout de même imaginer le décor d’un laboratoire. Ces outils alambiqués et démesurés participent au caractère satirique de la caricature. Dans un mouvement ascendant, ils conduisent le regard du spectateur aux visages parodiques des scientifiques et à l’objet de leur découverte.

Ce double portrait en pied donne à voir Marie Curie, de trois-quarts, se tenant derrière son époux, Pierre Curie. Les deux scientifiques adoptent une posture solennelle, inspirée sans aucun doute des photographies officielles tirées des nombreuses séances de poses en laboratoire. Le regard déterminé du couple converge vers la fiole contenant du radium isolé en partie haute de la caricature. Les sourcils oscillants visent à traduire le tempérament scrupuleux et flegmatique des scientifiques. Le caricaturiste tente ici d’établir le caractère inébranlable et résolu des chercheurs par l’exagération subtile, mais manifeste, de certains attributs physiques parmi lesquels la bouche pincée, les yeux acérés et le front exagérément long en sont les manifestes. Il ne s’agit pourtant pas tout à fait d’un portrait à charge, mais davantage de l’illustration fantasmée et imaginaire de la découverte du radium.

En dépit de tonalités majoritairement maussades, un effet de brillance émane du radium et éclaire la scène. Les rayons lumineux du radium se diffusent en cercles concentriques et viennent se refléter dans les outils et les arêtes de la paillasse pour trouver écho dans la surpiqure blanche de la robe de la scientifique. Ce halo lumineux et dynamique irradie de l’élément radium pour éclairer les parties saillantes du visage des scientifiques. Cette lumière est ce qui confère à la caricature une aura mystique, presque surnaturelle. Les propriétés lumineuses du radium sont perçues dans l’imaginaire collectif comme extraordinaires, voire magiques. Cette caricature tend ainsi à illustrer le fantasme populaire planant autour de l’étrange découverte.

Texte de Constance Théodore
en collaboration avec le Musée Curie
et Ecole du Louvre Junior Conseil

© IMP / Musée Curie (coll. ACJC)

Caricature de Pierre et Marie Curie parue dans Vanity Fair le 22 décembre 1904.