Episode rayonnant 3 – EFFETS BIOLOGIQUES - HISTOIRE RADIOPROTECTION

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Publié le 9/4/2025
Modifié le 11/13/2025
par Marc Ammerich
Temps de lecture: 7mn
Les rayonnements ionisants ne sont pas sans danger : ils peuvent endommager les cellules et la santé. Dans ce troisième épisode, découvrons comment leur risque a été reconnu et comment la radioprotection s’est construite.

Les effets cellulaires des rayonnements ionisants

Les premières cibles des rayonnements ionisants sont nos cellules vivantes. Dans leur noyau se trouve la molécule d’acide désoxyribonucléique (ADN) contenant tout notre code génétique.
L’énergie déposée par les rayonnements ionisants peut altérer les structures de la cellule et de l’ADN, directement ou indirectement.

Trois issues sont possibles après une altération de la cellule :
- elle est parfaitement réparée ;
- elle meurt ;
- elle se répare mais de façon imparfaite.

Les lésions peuvent être mortelles ou provoquer des mutations. Si ces dernières concernent des cellules sexuelles, elles sont transmises à la descendance, sinon elles peuvent affecter le fonctionnement cellulaire, voire conduire à des cancers.

Les effets qui peuvent résulter de l’exposition de l’être humain aux radiations ionisantes peuvent alors être classés en deux catégories :
- les effets déterministes ;
- les effets aléatoires (ou stochastiques).

Les effets déterministes

Pour des doses absorbées élevées (supérieures à plusieurs grays), ces effets sont observés chez tous les sujets exposés. Ce sont des effets à seuil. Ils se déclarent en général de manière précoce (entre quelques jours et quelques mois après l’exposition). Leur gravité augmente avec la dose absorbée.
- Pour des expositions localisées, des effets peuvent apparaître à partir de 0,2-0,3 Gy
- Pour une exposition globale (ou de l’organisme dans son entier), le seuil repère est de 0,5 Gy. Il est à noter tout de même que chacun a une sensibilité qui lui est propre, tout le monde n’a pas la même radiosensibilité.
- La dose létale 50% (DL50) est estimé à 4,5 Gy : c’est la dose pour laquelle la moitié des personnes exposées décèdent dans les 60 jours sans traitement médical.

Pour donner une analogie, les effets déterministes, c’est comme la consommation d’alcool.
Un verre d’alcool, tout va bien. Trois verres : ne plus conduire. Dix verres : ça tangue ! Cinquante verres : danger vital. C’est la même logique pour les effets déterministes : ils dépendent de la dose.

Les effets aléatoires

A l’inverse, les effets aléatoires n’ont pas de seuil connu : la moindre dose de rayonnement est susceptible de provoquer ce type d’effets.

La gravité de l’effet ne dépend pas de la dose, seule sa probabilité d’apparition augmente avec la quantité absorbée. Les effets aléatoires pouvant se produire sont les cancers chez les personnes exposées et des mutations génétiques pouvant toucher leurs descendants.

Le temps de latence (temps séparant l’exposition de l’apparition de l’effet) est en moyenne beaucoup plus long que pour les effets déterministes (plusieurs dizaines d’années). Ces effets ne sont pas spécifiques à l’action des rayonnements ionisants, rien ne permet de distinguer un cancer ou une mutation dus aux rayonnements ionisants d’un cancer d’origine naturelle.

Aujourd’hui, la seule façon de mettre en évidence ces phénomènes est de montrer que dans un groupe d’individus exposés, la fréquence d’apparition des cancers ou des mutations génétiques est plus élevée que dans un groupe témoin composé de sujets ayant les mêmes caractéristiques (âge, sexe, …), les mêmes habitudes de vie mais non exposés. Ce sont des enquêtes épidémiologiques.

 À l’heure actuelle et en l’état des connaissances scientifiques, on peut dire que pour une dose efficace inférieure à 100 mSv, il sera difficile de mettre en évidence un effet aléatoire. A très faible dose, les articles scientifiques montrent que les cellules ont plutôt tendance à mourir et être remplacées de manière strictement équivalente. Il n’y aurait pas de mutation génétique viable avec des cellules qui se répliquent.

 Enfin, des prédispositions génétiques peuvent accentuer la sensibilité individuelle aux rayonnements, bien que 80 % de la population présente une sensibilité équivalente.

Les unités de mesures

- Le gray (Gy) mesure l’énergie déposée dans le corps : utilisé pour les effets déterministes
- Le sievert (Sv) tient compte de l’impact biologique : utilisé pour les effets aléatoires.

Les accidents (comme celui de Tchernobyl) relèvent du gray, tandis que l’exposition du quotidien est exprimée en sieverts. Nous y reviendrons dans le prochain épisode !

Les objectifs de la radioprotection

Un des objectifs principaux de la radioprotection a été de fixer des limites à l’exposition que peut subir chaque personne et notamment les travailleurs et les travailleuses.

Les valeurs de ces limites ont été établies dans le double but :
- D’empêcher l’apparition de tout effet déterministe en maintenant la dose équivalente reçue pendant toute la vie professionnelle au-dessous du plus faible seuil.
- De limiter l’apparition des effets aléatoires à un niveau « socialement acceptable », juste compromis entre le bénéfice que tire la société de l’utilisation de la radioactivité et des rayonnements ionisants (médecine, surveillance, etc.) et les nuisances qui en découlent, dans un cadre habituel.

L’histoire de la radioprotection

Il a fallu parcourir un long chemin avant de mettre en place des principes de prévention et de protection par rapport à la radioactivité et aux rayonnements ionisants.

Dès l’utilisation des premiers tubes à rayons X, après leur découverte en 1895, les radiologues commencent à constater des effets nocifs (déterministes ceux-là) sur eux-mêmes. À la fin de 1896, il est observé 23 cas de blessures graves, la plupart du temps des radiologistes ou des fabricants de tubes à rayons X.

En 1901, Henri Becquerel décrivit la première brûlure par irradiation aiguë localisée après avoir placé dans sa poche une source radioactive. Pierre Curie va faire de même pour conforter l’observation de Becquerel. Au cours des années qui ont suivi (à partir de 1904), de nombreuses publications font référence aux maladies induites par les rayonnements chez les radiologues. Cette année-là, Antoine Beclère, pionner de la radiologie en France, fait des recommandations pour la protection des médecins et des manipulateurs.

En 1911, pour la première fois, la littérature scientifique mentionne une relation possible entre les rayonnements et la leucémie.

En 1927, Hermann Müller suggère la possibilité d’effets génétiques des rayonnements chez l’homme.

En 1928, à Stockholm, la commission IXRPC (International X-Ray Radium Protection Committee) est créée, à l’initiative de Rolf Sievert.

L’évolution des limites de dose en radioprotection

Voici le tableau des valeurs limites définies pour les personnes qui sont exposées professionnellement aux rayonnements ionisants, ce que l’on désigne par travailleurs.

Aujourd’hui, parmi les 360 000 personnes suivies professionnellement en 2023 (on peut citer les médecins qui travaillent dans le domaine de la radiologie, de la médecine nucléaire, les dentistes, les vétérinaires, les personnes travaillant dans le domaine nucléaire chez EDF, au CEA, chez ORANO, les personnes en contact avec des sources radioactives ou des générateurs de rayonnements dans l’industrie ou la recherche, les personnels navigants des compagnies aériennes, etc…) on ne recense que cinq dépassements de la limite annuelle.

Conclusion

 Ainsi, en un siècle, la radioprotection est passée d’une quasi-absence de règles à un système strict et efficace. Elle permet aujourd’hui de profiter des bénéfices des rayonnements (médecine, recherche, industrie) tout en minimisant les risques.

 

Marc Ammerich est ancien inspecteur nucléaire au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, travaillant dans le domaine de la radioprotection depuis plus de quarante ans. Il a mené au Musée Curie plusieurs chantiers de radioprotection sur les objets et les archives contaminés.

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