La fiche radioactive

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Publié le 31/03/2022
Modifié le 11/07/2024
par Anne-Morgane Devriendt et Camilla Maiani
Temps de lecture: 6mn
Bien plus que des simples calculs, ces notes de laboratoire de la main de Marie et Pierre Curie témoignent de différentes manières de leur recherche sur la radioactivité, et s’inscrivent depuis les années 1990 dans l’histoire du Musée Curie. Revenons ensemble sur le parcours singulier de cette archive.

Celle qu’on appelle au Musée Curie la « fiche radioactive » est une page extraite des notes de laboratoire prises par Marie et Pierre Curie  lors de leurs travaux de caractérisation du radium. Ce document a ensuite été étudié par Frédéric Joliot, avant d’être exposé au musée à partir des années 1990.

Que lit-on sur la fiche ?

La fiche radioactive, 1902. © Musée Curie (coll. Institut du radium)

Cette page montre des calculs liés à l’estimation du poids atomique  du radium, elle a été écrite lors d’une séance de travail, le 22 avril 1902, par Marie et Pierre Curie. Leurs deux écritures sont visibles sur la feuille, témoignant de leur collaboration scientifique.

Les calculs présents en haut de la fiche ont été écrits par Pierre Curie. Les Curie ne sont pas en mesure d’obtenir du radium pur, mais travaillent avec un composé de radium et de chlore, le di-chlorure de radium (RaCl2), pour essayer de calculer le poids atomique du radium. Ces calculs correspondent donc aux différentes étapes de mesure que les scientifiques poursuivent pour estimer les poids relatifs du chlore et du radium présents dans le composé. Ces poids sont évalués avec une balance apériodique, appareil inventé par Pierre Curie et capable de mesurer d’infimes poids avec une grande précision. Suite à ces procédés, le poids atomique du chlore peut être soustrait, pour obtenir une estimation du poids atomique du radium : Ra =223.3. En bas de la page, l’écriture de Marie Curie présente le calcul de contrôle qui permet de vérifier les résultats précédemment obtenus et d’évaluer une marge d’erreur.

Au cours de 1902, les Curie préparent de nombreux échantillons de radium, et effectuent plusieurs mesures successives du poids atomique. L’été, ils arriveront à la conclusion suivante : le poids atomique du radium est de 225, à une unité près. C’est ce résultat qui est publié dans la thèse de Marie Curie en 1903. Par la suite, le poids atomique du radium sera réévalué, la valeur actuellement admise est de 226,0254.

La fiche est radioactive !

L'autoradiographie de la fiche radioactive faite par Frédéric Joliot en 1956. © Musée Curie (coll. Institut du radium)

En 1956, pour célébrer le 50e anniversaire de la mort de Pierre Curie, une exposition est organisée au Musée Pédagogique de Paris autour des travaux de Marie et Pierre Curie. A cette occasion, Frédéric Joliot choisit lui-même des documents à exposer, cette feuille de calcul fait partie de sa sélection. Joliot a aussi l’idée d’en mesurer la radioactivité par autoradiographie, c’est à dire en posant la fiche sur une plaque photo. En effet, les rayonnements émis par les éléments radioactifs impressionnent les plaques photographiques. Il parvient ainsi à rendre visible l’invisible en réutilisant la méthode utilisée par Henri Becquerel lors de la découverte des rayons uraniques.

Frédéric Joliot distingue alors « deux sortes de traces ». Celles qui sont dispersées témoignent des retombées de contenus radioactifs présents dans l’air (gouttelettes, poussières…) ;  les traces plus denses semblent être la marque d’objets posés sur la fiche : un stylo ou même le doigt d’une main qui aurait tourné la page. Il compare également ces mesures avec celles d’autres fiches plus tardives et moins radioactives, signe, selon lui, de l’évolution de la radioprotection dans les laboratoires.

Du laboratoire au musée

Cette fiche fait partie des collections du Musée Curie depuis plus de 20 ans, et a été exposée à partir des années 1990. Lors des visites guidées, les médiateur.trices du musée ouvraient la vitrine et approchaient un compteur Geiger-Müller : il crépitait, montrant ainsi que la fiche était toujours faiblement radioactive. Cela donnait une appréhension sensorielle à la radioactivité, que les visiteurs ne peuvent ni voir, ni toucher, ni sentir. Étant donné le très faible taux de radioactivité de la fiche, même à vitrine ouverte son exposition était sans danger pour les guides et les publics.

Une mesure de radioactivité au musée

Le fait de pouvoir passer avec un compteur Geiger-Müller sur l’original de la fiche radioactive devant les publics, permettait aux médiateur.trices du Musée Curie de faire de la véritable vulgarisation scientifique. Tout d’abord, le compteur ne crépitait pas lorsqu’il était approché à la fiche devant la vitrine fermée, en montrant qu’une simple vitre stoppe la majorité des rayonnement émis par ce document. Ensuite, à vitrine ouverte, on pouvait vérifier que le compteur crépitait d’autant plus s’il passait au-dessus d’une zone de la fiche correspondant à l’une des tâches sombres mises en évidences par l’autoradiographie de Frédéric Joliot. Cela montrait aux publics les plus sceptiques l’efficacité de la méthode photographique pour rendre visible l’émission radioactive du document.

La fiche radioactive exposée au Musée Curie dans les années 1990. A gauche de la fiche on voit la réproduction de l'autoradiographie de Joliot, et en dessous le compteur Geiger-Müller utilisé pour la médiation. © R. Paty / Musée Curie (coll. Institut du radium)

En revanche, l’exposition prolongée n’a pas été sans conséquences pour la fiche. L’encre utilisée par Marie et Pierre Curie pour écrire s’est évaporée au fil du temps en raison d’une trop longue exposition à la lumière, couplée à la chaleur. De plus, une tache due à un produit chimique présente en haut de la page s’est étendue, abîmant le papier. Afin de remédier à ces détériorations et de les stopper, la fiche a fait l’objet d’une restauration en 2013. Elle est préservée bien à l’abri de la lumière, dans les archives du musée. Un fac-similé a été réalisé en même temps, et a pris la place de l’original dans les vitrines du musée. Il demeure visible pour tous nos visiteurs, mais ne fait pas crépiter le compteur

Le fac-similé de la fiche (gauche) et la reproduction de l'autoradiographie de Joliot (droite) exposés au musée depuis 2013. © Musée Curie

POUR ALLER PLUS LOIN :

> Pierre et Marie Curie. Papiers. I — ŒUVRES ET TRAVAUX SCIENTIFIQUES. XV-XVIII Pierre et Marie Curie. Travaux sur la découverte de la radioactivité naturelle. Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. NAF 18379-18381.
> Recherches sur les substances radioactives, de Marie Sklodowska-Curie. Thèse de doctorat. 1903.
> Contamination radioactive de manuscrits de Pierre et Marie Curie, relatifs aux expériences ayant suivi la découverte du radium. Note de M. Frédéric Joliot. Compte rendu de l'Académie des sciences, séance du 17 février 1958 ;
> Le feuilleton du radium, de Nathalie Huchette et Camilla Maiani, édité par le Musée Curie, 2019 ;
> Le poids atomique du radium dans La méthode Curie ;
> Les Curie, de Pierre Radvanyi, Belin, 2005.

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