Marie Curie et son engagement à la CICI
Publié le 25/04/2022
Modifié le 15/09/2023
par Anne-Morgane Devriendt
Modifié le 15/09/2023
par Anne-Morgane Devriendt
Temps de lecture: 6mn
La création de la CICI
La Société des Nations (SDN) est créée en 1919 pour entretenir la paix et éviter de nouveaux conflits mondiaux. C’est dans ce cadre qu’est créée la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle (CICI) en 1922, ancêtre de l’UNESCO, pour soutenir la coopération intellectuelle et scientifique à l’échelle internationale. Elle est composée de plusieurs sous-commissions visant à faciliter les échanges et la diffusion du savoir scientifique et culturel, à préserver le patrimoine et les musées, à protéger la propriété intellectuelle ou scientifique, etc..
La CICI réunit des intellectuels de divers pays, dont les scientifiques Marie Curie, Albert Einstein et Paul Langevin mais aussi des écrivains comme Paul Valéry et des philosophes comme Henri Bergson. Marie Curie est invitée à rejoindre la CICI dès sa création. Sa correspondance avec sa fille Irène Joliot-Curie et avec Albert Einstein témoigne de l’intérêt qu’elle porte à cette nouvelle organisation. Ainsi, c'est elle qui encourage Einstein à rejoindre également la CICI :
J’aimerais savoir si vous avez accepté cette invitation. Pour ma part, je crois que l’acceptation de votre part comme de la mienne, serait sans doute nécessaire, si nous avions le ferme espoir de rendre quelques services réels. Mon sentiment est seulement que la Société des Nations, quoiqu’encore imparfaite, est un espoir pour l’avenir.
Marie Curie devient un membre actif de la CICI. Malgré ses problèmes de santé, ses obligations de professeur d’université et sa fonction de directrice de laboratoire, elle est présente à 80% des sessions de la CICI, d'après l'historien Martin Grandjean.
Marie Curie, engagée pour des sciences égalitaires et internationales
En 1926, Marie Curie soumet son Mémorandum sur la question des bourses internationales, pour l’avancement des sciences et le développement des laboratoires.
Elle y défend deux points sensibles : l’égalité des chances et l’internationalisme. Elle est convaincue de la nécessité d’encourager le partage des connaissances à l’échelle de la société et de ne pas la réserver à une élite :
Personne ne contestera, je pense, que même dans les pays les plus démocratiques, l’organisation sociale actuelle fait un avantage considérable à la fortune et que les voies qui conduisent vers l’instruction supérieure largement ouverte aux enfants de familles aisées restent d’accès difficile pour les enfants de familles à moyens restreints. Ainsi toute nation perd chaque année une forte partie de la sève vitale la plus rare et la plus précieuse.
Elle considère également essentiel d’organiser la diffusion des connaissances au niveau international car, selon elle, la recherche scientifique est le résultat du travail de multitudes d’équipes dans le monde entier :
La science, en effet, est essentiellement internationale, et c'est par manque de sens historique qu'on lui attribue des qualités nationales. Quelle que soit la fierté légitime d'un pays déterminé pour avoir pris une part importante à la floraison des connaissances humaines, ne perdons pas de vue que les conditions de la vie et du travail se modifient et que d'autres centres peuvent être appelés à naître et à joindre leur effort à celui des centres anciens.
Il est donc important que tous puissent accéder aux mêmes connaissances. C’est justement pour cela qu’elle s’investit dans la CICI, particulièrement dans la sous-commission de bibliographie des sciences physiques, qui a pour objectif la diffusion des connaissances de ce domaine.
Marie Curie propose ainsi la création de bourses internationales en réponse à ces deux enjeux. Les jeunes chercheurs, qu’elle appelle « stagiaires », pourraient ainsi se former et acquérir de l’expérience. Ceux qu’elle appelle « chargés de recherche », plus expérimentés, seraient en mesure de se consacrer pleinement à leurs travaux au sein d’un laboratoire.
Elle souligne que :
On ne peut appliquer une conception, en quelque sorte commerciale, au travail scientifique. Des efforts dignes d’éloge peuvent rester sans résultat favorable par suite de circonstances imprévues ou par suite d’erreurs difficiles à éviter dans la recherche de l’inconnu. Il serait puéril de vouloir soumettre le travail scientifique à des formes rigides qui le paralyseraient au lieu de l’encourager.
Le discours sur l’Avenir de la culture
En 1933, Marie Curie préside un entretien organisé à Madrid par le Comité permanent des Lettres et des Arts, qui fait partie de la CICI, sur le thème de « L’Avenir de la culture ». Certains membres du Comité déclarent la culture en crise, aggravée par les progrès de la science, jugés trop rapides. Marie Curie, dans son résumé des discussions, prend la défense de la science, de son enseignement et tempère les propos :
Je suis de ceux qui pensent que la Science a une grande beauté. Un savant dans son laboratoire n’est pas seulement un technicien ; c’est aussi un enfant placé en face de phénomènes naturels qui l’impressionnent comme un conte de fées. Nous devons avoir un moyen pour communiquer ce sentiment à l’extérieur ; nous ne devons pas laisser croire que tout progrès scientifique se réduit à des mécanismes, des machines, des engrenages, qui, d’ailleurs ont également leur beauté propre.
Je ne crois pas non plus que dans notre monde, l’esprit d’aventure risque de disparaître. Si je vois autour de moi quelque chose de vital, c’est précisément l’esprit d’aventure qui paraît indéracinable et s’apparente à la curiosité. On trouve l’esprit d’aventure chez les enfants, à tous les âges et à tous les degrés.
Cette intervention, le dernier discours de Marie Curie à la CICI, témoigne de sa vision de la science et de la recherche scientifique qui allie curiosité, technique et émerveillement.
Pour aller plus loin
Archives
> Mémorandum de Madame Curie sur la question des bourses internationales, pour l’avancement des sciences et le développement des laboratoires ;
> Entretiens. 2, L'avenir de la culture : ;
> Documents concernant le Comité de Coopération intellectuelle de la Société des Nations
Articles et livres
> Les réseaux de la coopération intellectuelle. La Société des Nations comme actrice des échanges scientifiques et culturels dans l'entre-deux-guerres de Martin Grandjean, 2018
> La société des esprits : la coopération intellectuelle dans le cadre de la société des nations dans Les scientifiques et la paix de Brigitte Schroeder-Gudehus, 2014
> L’UNESCO oubliée. La Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), de Jean-Jacques Renoliet, 1999