La restauration de la revue de presse du voyage aux Etats-Unis de Marie Curie
Publié le 15/05/2023
Modifié le 11/07/2024
par Camilla Maiani
Modifié le 11/07/2024
par Camilla Maiani
Temps de lecture: 7mn
Aurélie, tu diriges ce projet de restauration pour le Musée Curie. Peux-tu nous dire qu’est-ce qu’on va restaurer exactement et pourquoi ?
Il s’agit de restaurer les 13 albums de la revue de presse américaine, offerts à Marie Curie par deux commanditaires différents, suite à son voyage aux États-Unis en 1921. Plus précisément on restaure les couvertures des 13 volumes. Nous n’allons pas toucher à l’intérieur, mis à part pour un dépoussiérage et recollage de certains articles. Les couvertures étaient arrivées à un point de dégradation qui nous préoccupait, du point de vue de la conservation et de l'intégrité de ce patrimoine. Il s’agit ici d’une restauration de sauvegarde liée à l’état de grande altération des documents. Elle n’a pas l’objectif de permettre la consultation, ou de préparer une exposition ou une intervention avant numérisation.
Pour donner un exemple concret : un volume est exposé dans une des vitrines du musée, et pour des questions de conservation nous faisons une rotation pour limiter les effets d'une exposition prolongée à la lumière et à la chaleur. Mais étant donné l'état de l'ensemble des volumes, on commençait à avoir du mal à trouver des candidats suffisamment en bon état pour être exposés...
Est-ce que les reliures sont très abîmées parce que les volumes ont été beaucoup feuilletés ?
Je ne pense pas qu'ils aient été beaucoup consultés, en tout cas pas après 1956. Nous avons toujours un doute sur l'usage, et le stockage, de la revue de presse américaine entre 1921 et 1956. Personnellement je ne crois pas que Marie Curie ou ses filles les aient eus en tant que livres de chevet... au vu du poids et de la taille, ce ne sont pas des ouvrages forcément destinés à être beaucoup consultés. D'ailleurs l'accent, à la fabrication, a plutôt été mis sur la belle reliure et couvrure, à l’intérieur les coupures de presse ont été collées d’une manière qui n’est pas spécialement soignée.
L’état actuel peut cependant en partie s’expliquer par le fait qu’à la fin des années ‘90 il y a eu une numérisation. A cette époque, les techniques utilisées nécessitaient une ouverture à plat, page par page, des ouvrages, ce qui a forcément abîmé les reliures. Aujourd’hui, si on relançait un projet de numérisation, cela n’aurait pas autant d’impact, étant donnée l’évolution des outils à disposition.
Si ce n’est pas une consultation trop fréquente, est-ce que tu sais nous dire pourquoi ces volumes sont autant abîmés ?
Je pense que c'est la fragilité des matériaux qui a engendré cette dégradation, plutôt que l'action mécanique, c’est à dire la répétition des ouvertures et fermetures. Par exemple, le cuir des couvertures est de mauvaise qualité, il est très pulvérulent, c’est-à-dire qu’il part en poussière, et malgré toutes les précautions qu'on peut prendre du point de vue de la conservation, ou lors des rares ouvertures, c'est vraiment la fragilité inhérente aux matériaux qui fait que... à un moment ça ne tient plus, voilà !
Est-ce qu’après la restauration, les volumes retrouveront leur état d’origine tels qu’ils étaient en 1921 ? Tels qu’ils sont arrivés dans les mains de Marie Curie… ?
Non, ce n’est malheureusement pas possible et ce n’est pas l’objectif. L’objectif premier de la restauration est d’arrêter les dégradations, et de consolider les volumes de façon à garantir leur unité. Eviter qu’il y ait des plats détachés, comme c’est le cas actuellement pour certains volumes, par exemple.
Après une restauration de ce type il y aura toujours des griffures, on verra les traces des anciennes déchirures et du comblement des lacunes sur les couvertures. C’est normal, ces volumes ont un vécu. Et c’est également un choix de notre part, de laisser visibles les interventions. Il faut également penser à la suite car lorsque l’on reprendra en main les volumes dans 50 ou dans 100 ans, nos successeurs repéreront les endroits qui ont été restaurés. Le rapport de restauration nous aide à garder une mémoire précise de ce qui a été fait : quels produits ont été utilisés, quels endroits ont été restaurés, de façon à ce que, si besoin, tout ajout peut être enlevé et refait.
On arrive donc à la restauration elle-même…combien de temps ça prend de restaurer ces 13 albums ?
La restauration a commencé en décembre 2022. J’ai personnellement amené les deux premiers volumes à l’Atelier Coralie Barbe. Et on a estimé avec Laura Capogna, la restauratrice de l’atelier en charge du projet, que ça prendrait entre 12 et 18 mois. On devrait recevoir le dernier volume restauré au plus tard en juin 2024, mais on n’est pas à l’abri de surprises…
La restauration des deux premiers volumes a été un peu la base sur laquelle on a ensuite précisé la feuille de route pour les 11 autres. Ça n’a pas été un long fleuve tranquille… Ce premier retour de l’atelier nous a confirmé la très mauvaise qualité des matériaux d’origine, et malgré la restauration, les volumes demeureront toujours relativement fragiles. On ne s’y attendait pas forcément, mais il faudra faire avec, malheureusement.
Ceci a un impact concret car depuis cette évaluation, nous avons décidé de ne plus exposer de volume authentique au Musée Curie, mais de le remplacer par un fac-similé. La scénographie actuelle n’offre pas les conditions d’exposition adéquates pour un tel ouvrage. Il faudrait qu’il soit mis en position couchée, et non debout, comme il l’est aujourd’hui.
Une restauration de 13 gros volumes, la création d’un fac-similé…c’est un énorme chantier à l’échelle du Musée Curie…
Oui c’est un projet important, qui se prépare bien avant l’envoi des volumes à la restauration. Aux archives le travail a commencé dès mars 2022 : il a alors fallu écrire noir sur blanc un cahier des charges détaillant nos attentes, pour pouvoir l'envoyer à plusieurs ateliers de restauration et leur proposer d’examiner les 13 volumes. Nous ne sommes pas expert.es en restauration de livres et de documents, nous ne maîtrisons pas ce savoir-faire ! Nous ne connaissons pas toutes les technologies et nous avions donc besoin de leur retour pour savoir ce qu’il était possible de faire.
En plus, pour financer le projet, nous avons bénéficié de la participation de deux mécènes. D’une part, la famille Saouma, pour qui l’héritage culturel de Marie Curie est essentiel à transmettre aux générations futures. Et d’autre part, le professeur Nobuo Yamada, qui est le petit fils d’un ancien chercheur du laboratoire Curie dont il porte le nom et prénom. Celui-ci souhaite rendre hommage à son aïeul mais aussi à son père, qui aimait revenir sur le lieu de travail de son propre père. Nous les remercions pour leur générosité, sans laquelle les volumes ne pourraient pas être restaurés !
Est-ce que les albums sont consultables, ou le seront après restauration ?
Non, ces volumes ne sont pas actuellement consultables, et ne le seront malheureusement pas après la restauration. Ils sont extrêmement fragiles, et très lourds : le simple fait de les ouvrir risque de les abîmer de manière irréversible. Cependant, il existe en ligne un inventaire détaillé de tous les articles contenus dans cette revue de presse. 19845 au total !
Pour aller plus loin
Un article dédié à la revue de presse américaine ;
Un article dédié au voyage de Marie Curie aux Etats-Unis ;
L’inventaire détaillé de la revue de presse américaine sur Calames.