Les grandes vacances de Madame Curie

Histoire(s)

Publié le 02/08/2023
Modifié le 15/09/2023
par Nathalie Huchette
Temps de lecture: 10mn
La Bretagne et la Côte d’Azur sont les deux destinations estivales privilégiées de Marie Curie. Avec ses deux filles, durant ses longs congés de fin d’année universitaire, elle vit le plus simplement possible, à proximité de la verdure et de la mer. Repos et activités physiques occupent ses journées. Elle met ainsi en pratique l’adage : « un esprit sain, dans un corps sain … »

Les congés d’été de Marie Curie sont ceux d’une professeure d’université et durent deux mois et demi. Comment les occupe-t-elle ? Avec qui les passe-t-elle ? Où aime-t-elle prendre le large ? Elle fait figure de privilégiée à une époque où seules les classes aisées ont droit à des vacances et peuvent se les offrir. Adopte-t-elle néanmoins les habitudes de la bourgeoisie de son temps en villégiature ? En quête de simplicité, d’harmonie avec les éléments de la nature et de moments partagés avec ses proches, un vent de liberté souffle sur les grandes vacances de Marie Curie… Revenons sur quelques-uns de ces instants capturés sur des photographies de famille et dans des extraits de lettres.

Marie et Pierre Curie, jeunes mariés, pratiquent le cyclotourisme

Jeune mariée, Marie Curie partage avec Pierre, le goût des plaisirs simples et de la vie rustique. A l’été 1895, pour leur voyage de noces et leurs vacances, le jeune couple marié depuis le 26 juillet s’évade en amoureux sur les routes de l’Ile de France. Ils enfourchent pour cela leurs vélos flambant neufs qu’ils se sont offerts comme cadeau de mariage. A midi, ils pique-niquent dans des prairies, se sustentent de repas frugaux, composés de fruits, de pain et de fromage, et dorment dans des petites auberges. Ils s’aventurent à pied au hasard des chemins, s’enivrent de la faune et de la flore environnantes. Cette fin d’été-là, ils rejoignent la sœur de Marie, Bronia, et son mari Casimir Dluski, dans une ferme à Chantilly. Deux ans plus tard, ils longent la côte bretonne, toujours à bicyclette. Ce mode de transport individuel commence à se populariser à la fin du 19eme siècle. Il devient de plus en plus accessible à toutes les classes sociales à la faveur d’une forte industrialisation faisant baisser son coût. L’engouement pour le cyclisme de loisir se développe chez la bourgeoisie modeste. La roue à pneumatiques et la chambre à air viennent d’être inventées, ce qui accroît le confort du cycliste.

Marie et Pierre Curie à Sceaux avec leurs bicyclettes, 1895. © Musée Curie (coll. ACJC).

L’utilitarisme de ce moyen de se déplacer transforme le quotidien de nombreuses femmes, et participe à leur émancipation. Pour pédaler aisément sur son vélo, Marie Curie porte des grandes culottes bouffantes, un genre de bloomer. Le port du pantalon est alors interdit aux femmes sauf pour pratiquer l’équitation ou le cyclisme. L’été suivant le jeune couple part en Auvergne où il loue une maison paysanne. Là, tous deux font de grandes randonnées pédestres et à vélo dans le Massif central. A l’été 1897, enceinte de 7 mois de sa première fille Irène, Marie Curie part se reposer dans un hôtel à Port-Blanc, un petit port de pêche sur les côtes bretonnes. A Pierre resté à Paris, elle écrit : « Aujourd’hui il fait beau, le soleil brille, il fait chaud (…) Je suis très triste sans toi, viens vite, je t’attends du matin au soir et je ne te vois pas venir. » 1 La naissance d’Irène en septembre, les contraint à moins voyager en deux-roues durant leurs vacances d’été suivantes. Ils élisent domicile dans des petits villages retirés, où ils se fondent incognito parmi les habitants du coin tant ils vivent simplement.

Excursions en famille en Pologne et en Suisse avec Albert Einstein

Marie et Ève Curie et la famille de son frère Joseph Sklowdoski à Zakopane en Pologne, août 1911. © Musée Curie (coll. ACJC).

En 1911, veuve depuis 5 ans, Marie Curie envoie ses filles passer l’été chez sa soeur à Zakopane, en Pologne. Bronia et son mari Casimir Dluski ont fondé un sanatorium dans cette petite ville aux jolis chalets de bois située au pied du massif des Tatras. En août, elle les rejoint, ainsi que son frère Joseph Sklodowski. En famille, ils empruntent les sentiers de randonnées. Les excursions montagnardes sont une des activités de loisir favorites de Marie Curie. Deux ans plus tard, elle part marcher en Engadine, une haute vallée des Alpes suisses sur l’invitation d’Albert Einstein (1879-1955), y résidant avec son fils aîné et la gouvernante de celui-ci.

Miss Manley, la gouvernante, Ève Curie, Hans Albert Einstein, fils d’Albert Einstein, (1er rang, de gauche à droite) et Albert Einstein, Marie Curie et Irène Curie (2e rang, de gauche à droite), voyage en Engadine, août 1913. © Musée Curie (coll. ACJC).

Marie Curie à l’Arcouest en Bretagne

Marie Curie découvre en septembre 1912, un autre village de marins en Bretagne : Ploubazlanec et la pointe de l’Arcouest. Avec ses deux filles, elle loge d’abord chez l’habitant, puis loue une villa et finit par l’acheter en 1919.

Maison des Curie à l’Arcouest, dans les années 1920. © Musée Curie (coll. ACJC).

Dès 1925, Marie et Irène Curie font construire une maison plus proche de la côte, qui deviendra la maison d’Irène. C’est une demeure typique bretonne, isolée, construite sur un vaste terrain en bord de mer. Son jardin offre une vue infinie sur la Manche, sur les anfractuosités rocheuses de l’archipel de Bréhat, et plus au large… sur l’île de Jersey.

C’est ce petit bout du monde qu’un groupe de professeurs de la Sorbonne menés dès 1910 par l’historien Charles Seignobos, a choisi comme villégiature familiale d’été. Ce dernier est surnommé « le capitaine » du fait qu’il est propriétaire d’un voilier « L’Eglantine » sur lequel il embarque toute la tribu. Les Perrin, Borel, Curie… y forment une confrérie atypique et idéale, vivant en vase clos, qui fait que l’Arcouest sera surnommé par un journaliste « Sorbonne plage » ou « Fort-la-Science »2.

Vacances à l’Arcouest chez Jean Perrin ; de gauche à droite Marie Curie, Jean Perrin, Henriette Perrin, Aline Perrin, vers 1920. © Musée Curie (coll. ACJC).

Se calquant sur le calendrier de l’année universitaire, leurs congés d’été sont longs, ils s’étalent de juillet à fin septembre. Notons que peu de salariés peuvent jouir à cette époque de vacances prolongées. Seuls les personnels de l’Etat bénéficient de congés payés depuis le décret de Napoléon III de 1853. Les congés payés en France sont généralisés en 1936, sous l’égide du Front populaire.

Irène et Marie Curie sur un bateau à rames à l’Arcouest vers 1922. © Musée Curie (coll. ACJC).

Au programme des estivants de l’Arcouest, il y a : voile, aviron, canotage, bains de mer, bains de soleil, ... dans la journée, et, jeux de société, chants et histoires contées au coin du feu pour les soirées. Marie Curie aime particulièrement nager dans l’eau fraîche et cristalline de la petite plage rocheuse située au bas de l’à-pic de sa maison. Sa pratique est assez sportive, elle a appris « l’over arm stroke », une sorte de crawl ! Elle partage avec ses deux filles le goût de la Bretagne, de la nage en pleine mer et des promenades dans la lande sauvage. Dans ces années de l’après-guerre, leur attitude bouscule les mœurs de leur temps. Elles s’habillent comme des paysannes, portant la fameuse vareuse– une blouse courte de grosse toile de coton des uniformes de matelots- sur de longues jupes avec des espadrilles enfilées pieds nus et un chapeau de toile délavée sur la tête, et se baignent très peu vêtues. Leur mode de vie de vacancières est en opposition avec le style élégant et chic adopté par la bonne société lors de ses voyages touristiques. Si la mode des bains de mer est apparue à la fin du XIXe siècle -les élites découvrant alors que l’océan et l’air marin sont bons pour le corps et l’esprit- sur les plages des stations balnéaires, les curistes restent pudiques. Jusque dans les années 1950, il est interdit de se baigner ou de s’exposer sur la plage sans revêtir un costume ou un maillot complet.

Pour clore cette parenthèse estivale bretonne, M. Seignobos organise une fête. « (…) l’accordéon qui jouait polkas, lanciers et « dérobées » locales faisait tournoyer en couples mêlés les domestiques et les patrons, les membres de l’Institut et les filles de cultivateurs, les marins bretons et les Parisiennes. »3

Fête à l’Arcouest, juillet 1935. © Musée Curie (coll. ACJC).

Marie Curie sur la Côte d’Azur

Dans les années 1920, Marie Curie plus âgée, préfère pour ses exploits nautiques, la chaleur de la mer Méditerranée. Grâce à Marthe Klein, sa collaboratrice pendant la guerre, elle découvre en 1919 la Côte d’Azur, le département du Var, le Lavandou, la région de Cavalaire-sur-Mer, ses mimosas, cyprès et eucalyptus... Elle se rend régulièrement à Cavalaire – été comme hiver- où elle loge d’abord à l’hôtel, puis loue avec Marthe « un château (…) sur le flanc d’un coteau parmi les pins ; c’est une grande construction blanche surmontée de parties formant tourelles et offrant de tous les côtés un grand nombre de terrasses. »4 Terrasses sur lesquelles elle n’hésite pas à dormir à la belle étoile cherchant la fraicheur de la nuit ! Elle se décide en 1923 à acheter une villa : « La Vigie », à Cavalaire, qui offre une vue sublime sur les îles d’Hyères et la Presqu’île de Giens. Elle la revend à sa fille Eve deux ans plus tard. Elle lui écrit depuis l’Arcouest en 1925 : « Le temps n’est pas mauvais, mais il ne fait pas chaud. (…) En tout cas, l’eau est devenue froide, nous lui avons trouvé 16°, mesurés, il est vrai, à un thermomètre dont nous ne savons pas s’il est exact. Pourtant, il n’y a pas de doute qu’une différence existe entre l’eau de septembre et celle d’août ; cette différence est très sensible pour le corps et réduit les possibilités de bain. Aussi, je crois que j’aurais avantage à venir ici en juillet ou au début août et aller à Cavalaire fin août et septembre, de manière à finir par des bains plus chauds que ceux que je trouve ici. »5 Dans le sud, elle se baigne dans les calanques et nage entre les rochers. Les longues distances jusqu’à 300 mètres ne lui font pas peur !

Villas de la Vigie, avec la villa de Marie et Eve Curie à Cavalaire, 1930. © Musée Curie (coll. ACJC).

Dans ses résidences secondaires, que ce soit en Bretagne ou sur la Côte d’Azur, Marie Curie aime s’adonner à ses activités de loisirs favorites : baignades, contemplations du paysage, longues promenades dans la nature et jardinage. Elle profite bien souvent de ses échappées dans le sud de la France pour travailler à la rédaction d’articles et d’ouvrages scientifiques. Il ne fait nul doute que les vacances de Madame Curie furent tout autant studieuses que sportives.

1 Lettre de Marie Curie à Pierre Curie de Port-Blanc du 28 juillet 1897;
2 Vu, n°129, 3 septembre 1930;
3 Eve Curie, Madame Curie, Folio n° 1336, p. 439;
4 Lettre de Marie Curie à Eve Curie, de Cavalaire, du 22 septembre 1921;
5 Lettre de Marie Curie à Eve de l’Arcouest du 11 septembre 1925.

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