Quand la fee lumiere, Loïe Fuller rencontra Marie et Pierre curie, les «magiciens» du radium

Histoire(s)

Publié le 19/09/2023
Modifié le 11/07/2024
par Valérie Frois
Temps de lecture: 8mn
Loïe Fuller (1862-1928), danseuse et chorégraphe américaine, est considérée comme une pionnière de l’art technologique. Elle crée des effets spéciaux pour les costumes et décors de scène. Intéressée par la découverte du radium et son pouvoir luminescent, Loïe Fuller rencontre en 1902 Marie et Pierre Curie.

LOÏE FULLER, CREATRICE D’UN NOUVEAU GENRE DE SPECTACLE

Mary Louise Fuller, dite Loïe Fuller, est née à Hinsdale (Illinois) le 15 janvier 1862. Danseuse et chorégraphe autodidacte, elle crée à New York en 1892 la Danse serpentine qui fera son succès. En octobre de la même année, elle rejoint les Folies Bergère, haut lieu de la vie parisienne de la Belle Époque. Elle en deviendra l’égérie et gagnera son surnom, « La Loïe ».

La danse serpentine

Le premier film colorisé de l’histoire du cinéma, produit par Edison en 1896, montre les mouvements de la Danse serpentine exécutée par une imitatrice de Loïe Fuller. En faisant disparaître le corps pour mieux laisser place à la suggestion, la danseuse fait tournoyer des voiles de soie grâce à des baguettes de bois cousues dans les manches, créant une illusion de métamorphoses. Différentes lumières colorées sous un plancher de verre et des dizaines de projecteurs latéraux contribuent à la féérie du spectacle.

Affiche des Folies Bergères par Jules Cheret, 1893. © Wikimedia Commons.

Dans sa quête d’effets associant mouvement et lumière pour ses chorégraphies, Loïe Fuller effectue des recherches et s’intéresse aux nouvelles technologies de son époque. Elle poursuit même des expériences dans son propre laboratoire, qu’elle a aménagé dès 1898 sur sa propriété parisienne.

Installation scénique des projecteurs avec filtres polychromes utilisée par Loïe Fuller dans “The Skirt Dance” Article paru dans Scientific American, juin 1896. © Domaine public.

Elle y teste de nouvelles gélatines colorées pour les projecteurs mais aussi des colorants textiles qui accentuent la fluorescence de ses costumes comme les sels d’argent, capables de produire de la lumière dans l’obscurité. Afin de protéger ses inventions, Loïe Fuller dépose des brevets auprès du Bureau de la propriété industrielle de Paris, démarche qu’elle avait déjà pratiquée aux étas-Unis.

Brevet de costume déposé par Loïe Fuller aux États-Unis en 1894. © Bureau pour la propriété industrielle, Paris.

Brevet d’invention « pour perfectionnement des appareils à miroirs pour effets scéniques », 9 novembre 1899. © Bureau pour la propriété industrielle, Paris.

Durant l'Exposition universelle de 1900, Loïe Fuller devient la Fée de la lumière . Sa statue surplombe le Palais de la Danse où ses danses lumineuses sont interprétées par une imitatrice. Car de son côté, Loïe décide de faire construire dans l'enceinte de l'Exposition un pavillon éphémère dont elle supervise les travaux et qui sera consacré à son œuvre : son Théâtre-musée voit le jour. Il est conçu par Henri Sauvage, figure montante de l’architecture française de l’Art Nouveau.

Perspective du théâtre de Loïe Fuller à l’Exposition Universelle de 1900. Henry Sauvage, « Projet du Théâtre Fuller », Revue des Arts Décoratifs, 1900, XXe année, p. 343. © BnF/Gallica.

LA RENCONTRE AVEC MARIE ET PIERRE CURIE

Loïe Fuller se rapproche de Marie (1867-1934) et Pierre (1859-1906) Curie après avoir lu dans les journaux des articles sur leurs travaux sur le radium, que l’on décrit comme lumineux. Elle avait déjà réussi, non sans mal, à utiliser des sels d’argent disposés en pastilles sur ses costumes de tissu noir. Dans l’obscurité, les pastilles devenaient scintillantes, la phosphorescence renforçant l’illusion de ne voir que des points dansants sur scène. Avec la découverte du radium, Loïe Fuller imagine déjà de nouveaux effets à sensation, et demande aux Curie de l’aider à concevoir des « ailes de papillon au radium » qui brillent dans le noir grâce aux pouvoirs luminescents de cette substance.

« En un instant, je réfléchis comment je pourrai transférer les merveilleux éléments de cette poudre, comme force et résistance, à une robe, de façon à pouvoir le montrer au monde. »

Loïe Fuller, « Ma vie et la danse » Autobiographie, 1898

D’après la biographie écrite par Eve Curie sur sa mère, les deux savants rencontrent la danseuse dans leur laboratoire. On peut penser qu’ils lui expliquent combien le radium, élément chimique instable, est complexe et difficile à produire, sans compter son coût faramineux ! Si elle doit renoncer à ce projet, la rencontre sera néanmoins fructueuse pour Loïe Fuller. Pierre Curie réalise pour elle une démonstration du rayonnement ultra-violet. Ces rayons, dont la longueur d’onde les rend « hors du visible » sont observables indirectement car projetés sur certains matériaux, ils peuvent par exemple en révéler la fluorescence. L’expérience de Pierre Curie donnera plus tard l’idée à « La Loïe » de créer une nouveauté dans son répertoire, La Danse ultraviolette.

La Danse ultraviolette au Théâtre Femina de Paris Annonce du journal culturel Comoedia, 30 décembre 1911. © BnF/Gallica.

Afin de remercier les Curie de lui avoir accordé cette entrevue, Loïe Fuller donne à leur domicile une représentation privée de danse. Pour improviser une installation scénique dans leur salle à manger, elle mobilise toute son équipe de techniciens et éclairagistes.

"Je n'ai qu'un moyen de vous remercier de m'avoir répondu : Laissez-moi danser chez vous pour vous deux..."
Eve Curie, « Madame Curie » Editions Gallimard, 1938

En avril 1902, elle leur fera connaître un familier de son cercle, le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), lequel s’intéressait aux innovations chorégraphiques des pionnièr.es de la danse moderne.

« Puis-je amener demain dimanche après-midi à Meudon Monsieur et Madame Curie du radium, qui m’ont demandé à vous être présentés ? »
Loïe Fuller à Auguste Rodin, Télégramme du 16 avril 1902 - Archives Musée Rodin, Paris.

LES CURIE, SOURCE D’INSPIRATION DE LA DANSE DU RADIUM

En mai 1904, Loïe Fuller présente un spectacle privé au théâtre Sarah-Bernard de Paris, en hommage au couple Curie, qu’elle intitule La Danse du radium. La création originale de La Danse du radium de Loïe Fuller reste méconnue faute d’archives imagées. Quelques entrefilets dans la Presse mentionnent des représentations au théâtre Sarah-Bernard de Paris programmées le 5 février 1904, puis en mai de la même année, spectacle annoncé en hommage à Pierre et Marie Curie. La renommée de ces spectacles s’étend outre-Atlantique. Des journaux américains font l’éloge de La Danse du radium et de sa célèbre créatrice :

"Loïe Fuller est toujours d'actualité. Elle a fait un carton avec sa danse du radium. Vêtue d'une toge absolument lumineuse, qui par un mécanisme secret et extrêmement astucieux fait jaillir de brillants rayons phosphorescents lors de ses ondulations terpsichoréennes."

Rochester Democrat and Chronicle, 10 février 1904

"… qu'elle a montré à Monsieur et Madame Curie. Les célèbres physiciens ont dit que la dame serpentine américaine leur avait fait voir leur propre découverte sous un jour nouveau... Aucun véritable sel de radium n'est manipulé par la dame... la performance qui n'a pas encore été donnée en public."

Buffalo Commercial, 14 mars 1904

Une de plusieurs pages issues des carnet de Loïe Fuller, 1907-1911, sur la “Lecture on Radium”. Les recherches de Loïe Fuller sur le radium ont perduré plusieurs années après sa rencontre avec le couple Curie. © The New York Public Library, Digital Collections.

LOÏE FULLER, UNION DE L'ART ET DE LA SCIENCE

« …elle pénètre avec facilité dans les âmes les plus hautes des artistes et des savants. Je lui ai entendu dire les choses les plus fines, les plus aigües sur Curie, Mme Curie, Auguste Rodin et sur d’autres génies instinctifs ou conscients. »

Anatole France (Préface du livre de Loïe Fuller  Quinze ans de ma vie  1908)

À la fois artiste, chercheuse et inventrice, Loïe Fuller inspira des artistes de la génération symboliste, illustrateurs, peintres, sculpteurs et écrivains Elle fréquentait Jules Chéret, Henri de Toulouse-Lautrec et Auguste Rodin mais aussi des scientifiques, tels Camille Flammarion, Thomas Edison et Marie Curie avec laquelle elle continua sa relation amicale après le décès, en 1906, de Pierre.

Loïe Fuller reste de nos jours une figure emblématique de la Belle Epoque où le progrès scientifique, technologique accompagne l’imaginaire des arts. Pour témoignage de son influence, plusieurs expositions présentent chorégraphie, concept architectural, cycle de films, … L’esprit de «La  Loïe » continue d’inspirer des artistes contemporains !

Pour aller plus loin

Loïe Fuller, Quinze ans de ma vie, Editions du Mercure de France 2016;

Giovanni Lista, Loïe Fuller : danseuse de la Belle Époque, Edition revue et augmentée, Hermann Danse 2006;

Loïe Fuller, danseuse de l'Art nouveau, Catalogue d’exposition, Nancy, Musée des Beaux-arts (17 mai-19 août 2002), Editions RMN-Grand Palais 17.05.2002.

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