© Musée Curie (coll. ACJC)

L'élection de Marie Curie à l'Académie de médecine


Le 7 février 1922 Marie Curie devient la première femme membre associée libre de l’Académie de médecine. Il faudra attendre 24 ans, jusqu'en 1946, pour que cette première admission soit suivie d'une deuxième...


L’élection de Marie Curie à l’Académie de médecine peut paraître curieuse car elle n’était ni médecin, ni biologiste. Un fauteuil à l’Académie des sciences semblerait plus cohérent avec ses travaux de physicienne et chimiste. Justement, Marie Curie y a été candidate, sans succès.

Un précédent douloureux : la candidature de Marie Curie à l’Académie des sciences

En 1910, Marie Curie propose sa candidature pour devenir membre de l’Académie des Sciences, sur le siège qui avait été occupé par son mari et collaborateur Pierre Curie (décédé en 1906). La pertinence de sa candidature en tant que femme est publiquement questionnée par certains journaux et par l’Institut de France lui-même (duquel dépend l’Académie des sciences).

Marie Curie déclare son malaise à ce sujet dans une lettre du 18 novembre 1910, publiée dans le journal Le Temps :

Monsieur le directeur,

En réponse à votre lettre, je puis vous informer que la nouvelle de ma candidature à l’Institut est exacte. Cependant comme jusqu’à présent les élections à l’Institut n’ont jamais été́ l’objet d’une discussion publique, je dois aussi vous dire qu’il me serait pénible que cet usage fût modifié à l’occasion de ma candidature.

Contre l’avis de l’Institut de France et pour affirmer sa liberté quant à l’acceptation des candidatures, l’Académie des sciences présente la candidature de Marie Curie en première ligne. L’affaire, cependant, est déjà devenue politique. Les journaux d’extrême-droite dépoussièrent l’antagonisme entre dreyfusards, et anti-dreyfusards en affirmant que Marie Curie est n’est soutenue que par les dreyfusards. Le 23 janvier 1911, Marie Curie perd par deux voix seulement face au physicien reconnu Edouard Branly, plus âgé et déjà candidat de nombreuses fois. Le journal l’Action française du 24 janvier 1911 titre « La défaite de Dreyfus : Branly élu ».

Après cet échec, Marie Curie refusera de se représenter à l’Académie des sciences. Ceci malgré le résultat très serré de l’élection.

L’élection inattendue de Marie Curie à l’Académie de médecine

Dix ans plus tard, Marie Curie est devenue une scientifique de renom. Double prix Nobel, co-fondatrice d’une Fondation Curie reconnue d’utilité publique au moment même où les Etats-Unis célèbrent la savante au point de lui offrir un gramme de radium. Déjà membre de plusieurs académies étrangères, ses amis médecins pensent immédiatement à elle pour occuper le fauteuil libéré par Edmond Perrier à l’Académie de médecine comme membre associée libre. Dans un premier temps, une pétition est lancée en novembre 1921 par l’éminent radiologue Antoine Béclère et signée par 35 académiciens pour la proposer comme candidate au fauteuil vacant. Cette pétition n’est cependant pas entendue par le président de l’Académie de médecine de l’époque, Gustave Richelot, qui est un farouche opposant de la féminisation de la profession médicale [1].

Le 24 janvier 1922, lorsque l’Académie se réunit en comité secret pour examiner les candidatures, Béclère pose la possibilité de la candidature de Marie Curie. Un vote du comité secret pour s’assurer de la victoire de la candidate est organisé. Au total, 44 voix sur 71 se déclarent en faveur de la candidature de Marie Curie. Quel sera le résultat en séance plénière ? Émile Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur, inquiété par le vote très partagé, va jusqu’à suggérer de retirer la candidature de la scientifique pour éviter qu’elle ne soit rejetée. L’espoir des soutiens de Marie Curie repose alors sur un potentiel désistement des autres candidats. Effectivement, les autres candidats se désistent une fois la candidature de Marie Curie présentée officiellement. Le 7 février 1922 Marie Curie est élue par 64 voix. Seulement 80 académiciens sur 110 sont présents lors de ce vote.

Un membre actif de l’Académie de médecine

Dans la lignée de Cuvier ou Pasteur, Marie Curie, qui n’est pas médecin, est surtout élue pour apporter son nom et sa renommée à l’Académie de médecine. Mais elle ne peut accepter ce fauteuil que pour y jouer un rôle actif.

Elle participe à de nombreuses commissions, dont certaines s’occupant de questions de radioactivité et de radioprotection : une commission « sur la règlementation des établissements industriels qui s’occupent de la préparation des corps radioactifs » ainsi qu’une autre commission sur l’utilisation des radioéléments en médecine. En outre, elle rejoint des commissions d’attribution de prix décernés par l’Académie et de réflexion sur la propriété scientifique. L’historienne Natalie Pigeard écrit que la scientifique refuse ainsi, par son travail actif au sein de l’Académie, l’idée d’avoir été élue simplement « à la gloire » de l’Institution.


Source : gallica.bnf.fr / BnF

Le 12 décembre 1922, Achille Souques, neurologue français et secrétaire de l’Académie de médecine, relate l’élection de Marie Curie dans son rapport annuel, publié dans le Bulletin de l’Académie de médecine, de la façon suivante :

Innovation aujourd’hui, et demain tradition ! Depuis quarante ans, un nouvel ordre de choses est né. Depuis quarante ans, les étudiantes se précipitent à flot de plus en plus serrés vers les carrières libérales. [...] Il n’est pas besoin d’être augure pour prédire que quelques-unes d’entre elles s’imposeront, un jour, aux choix des Académies. Et les Académies auront tout à gagner à ne s’inspirer que du mérite seul et de l’intérêt impérieux de la Science.

Marie Curie est la première femme à rentrer à l’Académie de médecine, mais est-ce que cela ouvre les portes à toute une génération de femmes médecins ? Ce qui semble être un précédent prometteur reste un fait isolé au sein de l’Académie pendant 24 ans, jusqu’en 1946, lorsqu’une deuxième femme, Lucie Randoin, y est admise. Comme le souligne l’historienne Natalie Pigeard, dans le cas de Marie Curie, pour les académiciens « il s’agit d’accepter l’exception mais pas la règle ».

En 2022, 100 ans après l’élection de Marie Curie, sur les 135 membres titulaires présentés sur le site de l’Académie, 13 sont des femmes.

[1] Natalie Pigeard-Micault, "« Nature féminine » et doctoresses (1868-1930). " Histoire, médecine et santé 3 (2013): 83-100.

pour aller plus loin :

> « Marie Curie, la reconnaissance institutionnelle, des Nobel aux Académies » de Natalie Pigeard-Micault, Bulletin de l’Académie de Médecine, nov. 2017 ;
> « Election de Marie Curie à l’Académie de médecine » de Natalie Pigeard-Micault, fév. 2022.