Marie Curie et Irène Curie, des militantes féministes ?
Si Marie Curie s'est très peu prononcée sur les droits des femmes, il en est tout autre de sa fille Irène, militante féministe. A l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, revenons sur les engagements de Marie Curie et de sa fille Irène.
Le militantisme de Marie Curie
J'ai, il est vrai, l’habitude de m’abstenir en ce qui concerne toute discussion publique, aussi bien sur cette question que sur d’autres qui ne sont pas du domaine scientifique. Cependant, sans me prononcer sur les modalités de l’attribution des droits politiques aux femmes, je pense que le principe est essentiellement juste et qu’il devra être reconnu.
Marie Curie, Lettre au Sénat publiée par Le Temps le 9 juillet 1932.
Comme l’écrit Marie Curie, elle prend rarement position publiquement sur des questions qui ne sont pas scientifiques. Sur les droits des femmes elle ne s’exprime que deux fois : en 1921, elle signe une pétition menée par son amie Hertha Ayrton contre l’emprisonnement des suffragettes et en 1932 elle publie dans le Temps, un des quotidiens les plus lus à l’époque, son adhésion à l’idée du droit de vote des femmes.
L’engagement d’Irène Curie
L'engagement de sa fille Irène Curie pour l’égalité femme-homme sera, lui, total. Pour Irène, science et société ne font qu'un. Irène est formée aux idées de la mouvance des libres penseurs par son grand-père Eugène Curie. Lors de leur séjour en Angleterre en 1912, Irène est touchée par les propos d'Hertha Ayrton et par sa fierté d'avoir une fille emprisonnée pour manifestation. Pourtant, il faut du temps à Marie Curie et Irène pour comprendre le militantisme actif des suffragettes comme en témoigne leur correspondance en 1912.
Durant la Première Guerre mondiale, Irène Curie doit s'affirmer et combattre les préjugés. Jeune infirmière de 17 ans, elle doit convaincre les chirurgiens militaires de l’utilité de la radiologie puis les former à son usage. Elle en sort militante et engagée. Il n’y a plus alors une prise de parole de la scientifique qui ne défende ses valeurs. En 1935, alors que 91 décrets et la loi Laval réduisent le travail féminin, notamment à cause de la crise économique qui rend le marché du travail plus restreint, Irène prend publiquement la parole pour défendre l'indépendance économique de la femme et son droit au travail comme sujet prioritaire de lutte.
Je serai particulièrement heureuse si la distinction qui m’est accordée peut servir la cause du travail féminin si elle peut aider à sauvegarder le droit le plus précieux des femmes, le droit d’exercer dans les mêmes conditions que les hommes les professions pour lesquelles elles sont qualifiées par leur instruction et leur travail.
Discours d'Irène Joliot-Curie suite à la réception du prix Nobel de Chimie de 1935.
En 1936, Irène Joliot-Curie devient sous-secrétaire d’Etat à la recherche, ce qui équivaut aujourd’hui à la fonction de ministre. Bien que cette fonction, loin du laboratoire, ne corresponde pas à ses envies, elle accepte ce poste pour trois mois afin de montrer que les femmes peuvent avoir des responsabilités gouvernementales, et en-dehors des sphères liées à l’enfance et l’éducation. C’est le premier ministère de la recherche de l’histoire de France et c’est une femme qui en est à la tête. Arrivée dans un gouvernement sans même avoir le droit de vote, Irène continue même après son départ le combat pour les droits au travail, à l'indépendance et à la citoyenneté totale des femmes et donc à leur droit de vote. A cette époque et jusqu'en 1938, une femme ne pouvait même pas suivre d'études sans l'accord signé de son père ou mari : son tuteur. En 1940, sous la France de Vichy, les lois Pétain interdisent l’emploi des femmes mariées par les collectivités et par l’Etat. Le combat d’Irène Joliot a de plus en plus de raisons d’être.
Enfin, l’ordonnance du 5 octobre 1944 confirme que le droit de vote est accordé aux femmes.
Je pense que la décision d’accorder aux femmes le droit de vote et l’éligibilité, est une mesure de justice qui a été trop longtemps différée. […] Electeurs et électrices, veillez à ce que la formule excellente : « le droit de la femme mariée de se consacrer à son foyer », ne se transforme pas en une formule très mauvaise : « l’obligation de la femme mariée de se consacrer uniquement à son foyer ». Assurez-vous que ceux à qui vous accorderez vos suffrages sont disposés à défendre l’égalité de droit des femmes et des hommes en ce qui concerne l’exercice de toutes les professions.
Article d’Irène Joliot-Curie, « Ce que les Françaises pensent du vote ». Femmes françaises, 30 novembre 1944
En tant que scientifique, Irène Curie se bat également pour que la communauté lui reconnaisse ses mérites. Malgré son prix Nobel de chimie, elle n’est jamais élue à l’Académie des sciences alors que son mari Frédéric est reçu dès sa première candidature. Irène pose quatre fois sa candidature à l'Académie des sciences : quatre fois elle sera rejetée par une large majorité. Qu'importe, elle candidate pour pointer la misogynie des pontes de la science. Ce n’est qu’en 1962 que, pour la première fois, une femme sera élue correspondante de l’Académie des sciences. Il s’agit de Marguerite Perey, physicienne qui a été formée au Laboratoire Curie de l’Institut du Radium et a travaillé avec Marie Curie et Irène Joliot-Curie.
pour aller plus loin :
Articles et livres
> « Irène Joliot-Curie, une féministe engagée ? » de Louis-Pascal Jacquemond, dans Genre & Histoire, 2013, no 11 ;
> « Marie Curie, une intellectuelle engagée ? » de Michel Pinault, dans Clio. Femmes, genre, histoire, 2006, no 24, p. 211-229 ;
> Marie Curie, une vie, de Susan Quinn, Odile Jacob, 1996 ;
> Irène Joliot-Curie de Louis-Pascal Jacquemond, Odile Jacob, 2014 ;
> Marie Curie ma mère, Irène Joliot-Curie, 1954, réimp. 2022 ;
> Marie Curie et ses filles. Lettres. Editions Pygmalion, 2011.
Conférences
> Conférence Musée Curie 5 : Irène Joliot-Curie, une "femme étonnante" par Louis-Pascal Jacquemond
> Curie, Joliot-Curie : deux couples scientifiques par Natalie Pigeard-Micault
Archives
> Interview d’Irène Joliot-Curie 1935 au sujet du Nobel