La découverte du radium et du polonium

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Publié le 15/07/2024
Modifié le 15/07/2024
par Clarisse Chavanne
Temps de lecture: 11mn
En 1898, Marie et Pierre Curie découvrent deux éléments chimiques radioactifs : le polonium puis le radium. Découvrez l’histoire de cette découverte qui a ouvert la voie à une multitude de champs de recherche et d’applications.

La découverte des rayons invisibles

En 1895, le physicien allemand Wilhelm Röntgen découvre l’existence d’un rayonnement invisible et pénétrant capable d’impressionner une plaque photographique : les rayons X. Il publie alors l'article intitulé «Sur une nouvelle sorte de rayons», annonçant sa découverte.

Une des premières radiographies représentant la main gauche de Albert von Kölliker, faite par W.C. Röntgen lors d’un exposé public le 23 janvier 1896. © Wikimedia Commons

Informé de cette avancée, le physicien français Henri Becquerel décide de vérifier si la phosphorescence, décrite par Röntgen comme un effet lié à l'émission des rayons X, est comparable à celle qu'il observe dans les sels d'uranium. Le 1er mars 1896, dans son laboratoire du Muséum national d’Histoire naturelle, il découvre qu'un sel d'uranium émet spontanément des rayonnements invisibles et pénétrants, mais différent des rayons de Röntgen. Il les nomme «rayons uraniques». Becquerel examine ce phénomène pendant plus d’un an, mais en avril 1897, estimant avoir épuisé le sujet, il se tourne vers d'autres recherches.

L’histoire de la découverte des rayons uraniques

Pour vérifier si la phosphorescence et les rayons X sont liés, comme décrit par Röntgen, Becquerel mène une série d’expériences. Pour qu’un corps devienne luminescent, il doit être exposé à la lumière. Après avoir exposé des sels d’uranium déposés sur une plaque photographique, il constate que ces plaques sont impressionnées, tandis que les plaques témoins, sans sels, ne le sont pas. Alors qu’il souhaite répéter son expérience, Paris est recouvert de nuages. Becquerel abandonne ses échantillons dans un tiroir, remettant son expérience à plus tard. Avant de reprendre ses travaux, il développe néanmoins les plaques photos et découvre qu’elles sont fortement impressionnées. L’uranium émet donc un rayonnement spontané, non lié à sa luminescence.

Impression photographique obtenue par Henri Becquerel grâce au minerai d’uranium le 26 février 1896. En bas de l’image, nous devinons l’impression laissée par une croix de Malte, placée par Becquerel entre les sels d’uranium et la plaque photographique. © Musée Curie (coll. Institut du radium)

La découverte de la radioactivité

En 1897, après avoir eu leur première fille Irène, Marie Curie décide de reprendre son travail de laboratoire et souhaite préparer une thèse de doctorat. Elle choisit l’étude du phénomène découvert par Becquerel comme sujet. Son mari Pierre Curie se met en quête d’un espace pour les expériences de sa femme, et le directeur de l’École municipale de Physique et Chimie Industrielle (EMPCI), où Pierre enseigne, leur alloue un atelier servant de magasin et de salle de machines.

Les Curie mettent au point un appareillage permettant de quantifier avec précision des courants électriques très faibles : la Méthode Curie. Cette méthode permet ainsi de mesurer les rayonnements de l’uranium.

Le hangar de la découverte

Ce lieu de travail ressemblait plus à hangar qu’à un laboratoire de recherche. Marie Curie le décrit ainsi : «Ce hangar abandonné était séparé par une cour de l’atelier où était notre installation électrométrique. C’était une baraque en planches, au sol bitumé et au toit vitré, protégeant incomplètement contre la pluie, dépourvue de tout aménagement.»

Intérieur du premier laboratoire de Marie et Pierre Curie, dit “de la découverte”. Vers 1903. © Musée Curie (coll. ACJC)

La découverte du polonium et du radium

La radiochimie

En créant cette méthode expérimentale de séparation basée sur la radioactivité, Marie et Pierre Curie ont inventé la radiochimie. Cette branche de la chimie est dédiée à l’étude des propriétés chimiques des radioéléments et de leur impact sur la matière. La radiochimie trouve des applications dans divers domaines tels que l'énergie, l'environnement et la santé.

Isoler ce nouvel élément s’avère complexe car il est présent en très faibles quantités : moins de 0,0001 % de la roche totale, ce qui revient à trouver un grain de sel dans un gâteau. Pour y parvenir, les scientifiques utilisent des techniques de séparation physico-chimique comme l'extraction solide-liquide et la séparation thermique. En effet, chaque composant de la roche a des propriétés spécifiques, ce qui permet de les isoler les uns des autres en utilisant des procédés adaptés. Étant donné que le radioélément recherché est inconnu, la radioactivité est mesurée après chaque étape de séparation pour s'assurer de sa présence.

Marie et Pierre Curie s’occupent tous deux du travail chimique et des mesures physiques, aidés par Gustave Bémont, chef de travaux de chimie à l’EMPCI, et Monsieur Petit, leur garçon de laboratoire. En juillet 1898, ils découvrent un nouvel élément, 400 fois plus actif que l’uranium bien que loin d’être pur, dont les propriétés analytiques sont voisines de celles du bismuth. Ils décident de le nommer «polonium», en hommage au pays d’origine de Marie Curie.

En décembre 1898, ils découvrent, avec Gustave Bémont, dans la pechblende une deuxième substance fortement radioactive, présente également en quantité minime. Ses propriétés chimiques sont très proches de celles du baryum. Ils ne parviennent à la séparer du baryum que par une succession de cristallisations fractionnées, conduisant à des chlorures de plus en plus actifs. Ils obtiennent ainsi un produit 900 fois plus actif que l’uranium. Ils donnent le nom de « radium » à ce nouvel élément.

Pourquoi ces découvertes sont si importantes ?

En 1896, la découverte des rayons uraniques par Becquerel est perçue comme secondaire par les scientifiques. En effet, l’uranium est peu radioactif, avec une période de désintégration très longue, de 4,5 milliards d’années. Ce n’est qu’avec la découverte du polonium et du radium, qui sont respectivement huit milliards et deux millions de fois plus radioactifs à l’état pur que l’uranium, que les savants comprennent l’importance de ce phénomène.

L’acte politique de Marie Curie

Marie Curie est née en 1867 à Varsovie, dans une partie de la Pologne alors sous l’autorité russe. Par conséquent, elle est née avec la nationalité russe. Elle revendique cependant depuis toujours le droit à la liberté nationale et à l’établissement d’un régime républicain et démocratique pour le peuple polonais. En 1898, lorsqu'elle et Pierre Curie découvrent un nouvel élément radioactif, elle décide de le baptiser «polonium». Selon sa fille Eve Curie, elle souhaitait, en sachant que le résultat serait publié en Russie, souligner le manque d’indépendance de la Pologne.

Marie et Pierre Curie, avec M. Petit, le garçon de laboratoire, en train de mesurer la radioactivité, vers 1903, dans le laboratoire de la découverte. © Musée Curie (coll. ACJC)

Le poids atomique du radium

Pour convaincre les chimistes de leur découverte, il est nécessaire de prouver que le poids atomique du polonium et du radium ne correspond à aucun autre connu. Pour identifier la masse atomique précise de ces éléments chimiques, ils ont besoin de recueillir au minimum 0,1 g de ce nouvel élément. Au bout d’un an, Marie et Pierre Curie se rendent compte que leurs efforts doivent se concentrer sur le radium, car il est présent en plus grande quantité que le polonium dans les minerais d’uranium, et qu’il est donc plus facile à isoler.

Cette tâche est néanmoins ardue. Le radium n’étant présent qu’à l’état de trace dans la pechblende, plusieurs tonnes de minerai sont nécessaires pour extraire quelques milligrammes de radium, après un travail de séparation chimique colossal.

La première mission consiste alors à se procurer des tonnes de pechblende. Les roches proviennent des mines de St. Joachimsthal en Bohême (Empire austro-hongrois). À cette époque, l’uranium est extrait pour colorer le verre, et tous les résidus sont laissés sur place. Avec l’aide de leurs collègues de l’Académie des sciences autrichienne, les Curie réussissent à obtenir gratuitement l’envoi de ces « déchets », contenant les éléments recherchés, dans leur laboratoire.

Isoler le polonium

Le polonium est particulièrement difficile à extraire car il a une période de désintégration très courte (140 jours). En 1910, Marie Curie et André Debierne arrivent à extraire 0,1 g de polonium à la suite du traitement de plusieurs tonnes de minerai, mais le processus est trop contraignant. Ainsi, à la fin des années 1910, une méthode est développée permettant d’obtenir du polonium à partir de la désintégration du radon (émanation du radium). Le polonium, source pure de particules alpha, sert à Ernest Rutherford pour étudier les atomes et expérimenter, et est utilisé en 1934 par  Frédéric et Irène Joliot-Curie pour découvrir la radioactivité artificielle.

Un des bâtiments de l’exploitation minière d’uranium à Saint-Joachimsthal en 1925. ©Musée Curie (collection ACJC)

Ensuite, le travail de séparation pour récupérer le radium est effectué. Cette tâche est si fastidieuse et chronophage que dès 1899, Pierre Curie, avec l’aide d’André Debierne, met au point un premier traitement industriel avec la Société Centrale des Produits Chimiques. En 1902, après une dernière purification, Marie Curie obtient 0,1 g de chlorure de radium pur, visible grâce aux spectres effectués par Eugène Demarçay. Ils peuvent enfin définir le poids atomique du radium. Ils estiment ce poids à 225, à une unité près. Par la suite, le poids atomique, aujourd’hui appelé masse atomique, du radium sera réévalué, la valeur actuellement admise étant de 226,0254.

Les prix Nobel

Le 25 juin 1903, Marie Curie soutient à la Sorbonne sa thèse de doctorat « Recherches sur les substances radioactives ». Elle devient la première femme à présenter une thèse en sciences physiques à l’Université de Paris. Elle conclut son manuscrit en constatant : «Nos recherches sur les substances radioactives nouvelles ont donné lieu à un mouvement scientifique et ont été le point de départ de nombreux travaux relatifs à la recherche de substances radioactives nouvelles et à l’étude du rayonnement des substances radioactives connues».

Le 10 décembre 1903, à Stockholm, l'Académie décerne le prix Nobel de physique à Henri Becquerel pour «la découverte de la radioactivité spontanée», et à Marie et Pierre Curie «en reconnaissance des services extraordinaires qu’ils ont rendus par leur travail commun sur les phénomènes de rayonnement découverts par le professeur Henri Becquerel». Pour la première fois depuis 1901, le prix Nobel est décerné à une femme.

L’attribution du prix Nobel

La première proposition transmise par la France par l’Académie des Sciences ne comportait que les noms de Henri Becquerel et de Pierre Curie. Il fallut l’intervention d’un membre de l’Académie suédoise et d’une lettre de Pierre Curie pour que Marie Curie partage le prix de 1903.

Le prix Nobel de Physique de Marie et Pierre Curie (1903). © Musée Curie (collection ACJC).

Marie Curie reçoit un prix Nobel de chimie en 1911 pour «les services rendus à l’avancement de la chimie par la découverte des éléments radium et polonium, par l’isolement du radium et l’étude de la nature et des composés de cet élément remarquable». Elle devient ainsi la seule personne à avoir obtenu deux prix Nobel dans deux disciplines scientifiques distinctes.

Décédé en 1906 dans un accident de la circulation, Pierre Curie ne peut partager le prix de 1911 avec sa femme et collaboratrice. Cependant, dans son discours de réception du prix, Marie Curie rappelle que ce travail a été mené ensemble par le couple.

Un prix Nobel de chimie ?

La nouvelle du deuxième prix Nobel de Marie Curie ne tombe pas comme une surprise. Déjà en 1903, le Comité Nobel était en plein débat : fallait-il donner aux Curie et à Becquerel un prix de physique ou un prix de chimie? La toute nouvelle science de la radioactivité était en effet à la frontière de ces deux disciplines. Finalement, en 1903, ce sont les physiciens qui ont obtenu gain de cause, à condition qu’aucune mention ne soit faite des nouveaux éléments chimiques radioactifs. Le deuxième prix Nobel de Marie Curie, en chimie, était ainsi déjà prévu plusieurs années à l’avance.

Le prix Nobel de Chimie de Marie Curie (1911). © Musée Curie (collection ACJC).

Epilogue

Après 1910, la science de la radioactivité se développe rapidement, entrainant une multitude de nouvelles découvertes marquant les débuts de la physique atomique puis nucléaire. L’intérêt pour le radium ne se limite cependant pas à la physique et à la chimie. Dès 1900, ses propriétés thérapeutiques sont testées et parfois constatées, d’abord sur certaines maladies de la peau, puis sur les cellules cancéreuses. Le radium trouve ainsi des applications variées, allant de la médecine (notamment en radiothérapie) à la pharmacologie, en passant par l'industrie cosmétique et horlogère, malgré les risques qu'il présente.

Pour aller plus loin

> Curie, M. Pierre Curie, Odile Jacob.; 1923.

> Radvanyi, P. Les Curie : Pionniers de l’atome, Belin.; 2005.

> Boudia, S. Marie Curie et son laboratoire; Editions des archives contemporaines - EAC: Paris, 2001.

> Pierre et Marie Curie. Papiers. I — Œuvres et travaux scientifiques. XV-XVIII Pierre et Marie Curie. Travaux sur la découverte de la radioactivité naturelle. Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. NAF 18379-18381.

Recherches sur les substances radioactives, de Marie Sklodowska-Curie. Thèse de doctorat. 1903.

>  Consulter La méthode Curie

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